Clic.
La flèche fusa aussi vite que la précédente, mais toujours aussi loin du cœur de la cible. Rapidement, il se saisit de la prochaine et en six secondes précisément, elle était propulsée au loin.
Encore raté.
Déjà, il bandait son arc, prêt à décocher.
Clic.
Ses gestes mécaniques qu’il connaissait à la perfection ne suffisaient pas à garantir sa performance. Son esprit était ailleurs. Malgré cela, il continuait à tirer ses flèches au rythme du clicker et de la vibration de l’air. Le clicker, c’est ce petit truc sur son arc qui lui indiquait quand relâcher la pression lorsqu’il reculait sa flèche.
Rien à faire. Plus il décochait, moins il touchait le centre de sa cible. Ça n’était pourtant pas un exercice plus compliqué, il s’y entrainait tous les jours. Elle ne se trouvait même pas si loin. Pour autant, impossible d’atteindre son objectif aujourd’hui.
— « Est-ce que ça va ? »
Son entraineur se rapprocha de lui, l’air soucieux.
— « Oui, ça va ! » répondit le jeune athlète sur la défensive en fouillant dans son carquois pour se saisir de sa prochaine flèche.
Il poussa un grognement en réalisant qu’il était vide. Il se dirigea vers la cible d’un pas trainant qui ne lui ressemblait pas. Ce qu’il vit en s’approchant le dépitait d’autant plus : pas une seule n’avait atteint le deuxième cercle.
Quelque chose le travaillait, mais il n’arrivait pas à mettre la main dessus. Il perdait patience pour la moindre broutille.
— « Concentre-toi un peu plus. » entendit-il depuis l’autre bout du terrain.
Son entraineur était dur, il ne lui laissait jamais de répit et lui répétait constamment qu’un bon athlète était un athlète qui ne vivait que pour son sport, qui l’élevait au rang d’art.
Il voyait en lui bien plus que dans les autres, et il le poussait bien plus loin.
Cette remarque à elle seule suffit à faire perdre patience à Kang-Dae qui jeta au sol les flèches qu’il venait de décrocher de la cible.
— « Comme si je n’étais pas concentré ! » se révolta-t-il contre son mentor.
Dans ses jeunes années, Mr Kim avait gagné plusieurs médailles d’argent aux Jeux Olympiques, mais il a toujours vécu comme une humiliation de ne pas avoir pu rapporter l’or à son pays. Et c’est dans cet objectif uniquement qu’il entrainait les espoirs. Rien n’était assez bon pour lui en dehors du haut du podium.
Kang-Dae adorait tirer. Pouvoir vivre de sa passion, c’était l’une des plus belles opportunités qu’il ait eues. Mais lui, du haut de ses 22 ans, n’avait pas que l’or aux JO en tête. Son entraineur ne pouvait pas concevoir qu’il puisse rêver d’autre chose que de la victoire. C’est ce genre de différence entre les deux hommes qui amenaient le plus de conflits. Aucun d’eux ne prenait la peine d’essayer de se comprendre.
Alors que le jeune archer regagnait sa chambre au centre d’entrainement, il s’étendit sur son lit. Lorsqu’il ne décochait pas des flèches, il était obsédé par une seule chose : le grand amour. Ou en tout cas, trouver l’amour tout court. Si ça n’était pas le bon tout de suite, ça irait quand même.
Le désir de Kang-Dae de rencontrer quelqu’un égalait celui de décrocher une médaille Olympique. À la différence de beaucoup d’autres sports, il n’aurait pas à prendre sa retraite avant un moment. Sa carrière ne s’arrêterait pas à 25 ans, certains archers participaient encore aux compétitions internationales à 35 ans passés, donc il pouvait se permettre de divaguer un peu et de penser à sa vie privée. Évidemment, son coach ne partageait pas son avis.
Le pire, c’était surtout qu’il n’avait pas vraiment idée de comment rencontrer l’élue de son cœur. Après tout, qui croisait la femme de sa vie en boîte ? Assez peu de personnes en fin de compte. Les sites spécialisés ou les applis, ça n’était pas vraiment pour lui non plus.
Quelque part, il espérait que la flèche de cupidon viendrait le frapper alors qu’il marchait dans la rue. Il imaginait qu’il reconnaitrait immédiatement celle qui ferait battre son cœur, et qu’elle le discernerait au milieu de la foule comme celui qu’elle avait toujours attendu.
Tout cela, ça n’arrivait qu’à la télé, il le savait. Pour autant, si les choses pouvaient être si simples, cela lui irait complètement.
*************
Les qualifications étant terminées depuis quelques jours, le jeune athlète avait donc le droit à un peu de répit. Une semaine de repos s’offrait à lui, sans entrainement. Il comptait en profiter au maximum. Il enchainait les soirées avec des amis dans le seul but de rencontrer une jolie fille avec laquelle passer la Saint-Valentin.
Car si cette période de l’année s’avérait si stressante pour lui, c’était bien pour ces deux raisons : les sélections pour la compétition nationale avaient lieu et le coach lui mettait une pression immense –à juste titre– et Kang-Dae, lui, se préoccupait beaucoup de traverser encore une Saint-Valentin sans recevoir de chocolats.
(notes de l’auteur : en Corée comme au Japon, il est coutume à la Saint-Valentin qu’une jeune fille exprime ses sentiments à celui qu’elle aime en lui offrant des chocolats. Les hommes doivent leur rendre la pareil un mois plus tard, le 14 mars)
Les années précédentes, il avait secrètement guetté son courrier pour voir si quelqu’un allait lui déposer une petite boîte de douceurs pour lui partager ses sentiments. Peut-être qu’elle les aurait faits elle-même spécialement pour lui ? Même s’il n’avait pas vraiment imaginé qui, ça aurait été une agréable surprise. Mais rien.
Cette année, il était décidé à prendre les devants et à provoquer son destin. Cette année serait celle de l’amour.
En buvant son jus de fruits, le jeune homme scruta le salon du regard. Ces fêtes l’intéressaient assez peu, mais c’était l’endroit rêvé pour rencontrer l’élue de son cœur. Ou à défaut, une gentille fille avec qui partager de bons moments pendant quelques temps.
En parlant du loup, une blonde platine le fixait depuis un petit moment à l’autre bout de la pièce : c’était peut-être sa chance.
Il rassembla son courage à deux mains et se dirigea d’un pas assuré vers elle. Évidemment, il y avait toujours un doute possible : peut-être qu’elle n’était pas célibataire, ou peut-être qu’il s’était imaginé des choses. Mais quoiqu’il arrive, elle lui plaisait et il ne comptait pas laisser passer cette occasion.
La conversation s’engagea facilement, et elle dériva très vite sur son travail.
— « Tu es athlète professionnel ? » s’étonna-t-elle
— « Oui, je suis archer. Je participe aux JO cette année. » répondit-il avec fierté.
La jeune femme n’en croyait pas ses yeux.
— « Tu fais du tir à l’arc ? Du coup, tu pourrais devenir mon cupidon ? »
La conversation semblait aller bien trop vite, ce qu’elle lui proposait n’était pas clair. Qu’est-ce qu’elle insinuait ? D’autant qu’elle avait plus l’air de raconter une bonne blague que de tenter de le draguer.
Elle continua :
— « Tu pourrais utiliser une flèche magique pour me trouver un copain ! » expliqua-t-elle
Elle lui adressa un clin d’œil et fit mine de tirer une flèche de ses mains avant de se tordre de rire.
Kang-Dae était sidéré qu’elle ait fait une plaisanterie aussi médiocre. Pour la pardonner, elle avait l’air d’avoir déjà bien trop bu. Mais il ne lui en fallait pas plus pour comprendre qu’il ne l’intéressait pas.
Il se contenta de lever les yeux au ciel et partit à la recherche d’une autre conquête. L’un de ses amis l’attrapa par les épaules en rigolant :
— « Alors comme ça tu t’es transformé en Cupidon ? » gloussa-t-il
— « Oh, arrête. C’était la plus mauvaise blague qu’on puisse faire à un archer. » maugréa-t-il.
— « C’était drôle ! » insista son pote.
— « Non, plutôt mourir. Tu imagines la torture si je devenais cupidon là, maintenant ? Moi, qui cherche désespérément quelqu’un, je serais obligé de former des couples ? Mais quelle horreur ! »
Il en frissonna. Cette perspective était de loin la pire de toutes.
Le jeune athlète poursuivit sa soirée en quête d’amour, mais rentra chez lui seul.
— « Hé, toi ! »
Quelqu’un lui parlait ? Il aurait pourtant juré être seul dans la rue. Il se retourna et aperçut dans l’ombre un homme adossé à un muret en pierre qui clôturait l’une des maisons. Il était tard, et Kang-Dae ne préférait pas s’éterniser. Il traversait un quartier résidentiel calme où il ne croisait quasiment jamais personne de jour comme de nuit, seule la lueur des réverbères éclairait son chemin. La fatigue commençait à l’emporter, il ne voulait pas trainer. Il enfonça ses mains dans ses poches et continua comme s’il ne l’avait pas entendu.
— « Hé, je t’ai parlé ! » poursuivit l’inconnu plus brusquement.
Le jeune homme cligna des yeux sans comprendre ce qu’il se passait : le même homme se tenait devant lui, toujours adossé à un mur. Comment pouvait-il s’être déplacé si vite sans qu’il ne s’en aperçoive ?
Il en venait à se demander si quelqu’un n’avait pas glissé un peu d’alcool dans son jus de fruits.
L’inconnu se rapprocha et laissa son visage entrer dans la lumière. Sa barbe naissante et de sa calvitie avancée qui était d’autant plus mise en avant par ses joues rondes, mais en dehors de ça il n’avait rien de particulier. Il devait avoir une bonne quarantaine d’années et il n’avait pas l’air coréen. Kang-Dae ne comprenait toujours pas ce qu’il lui voulait. Peut-être était-ce un étranger qui s’était perdu ?
— « Oui ? » soupira-t-il en tentant de contenir son agacement.
— « Tu es archer, non ? Je t’ai vu à la télé, je crois. »
L’autre homme avait l’air assez inoffensif. Kang-Dae se détendit, c’était peut-être seulement un fan de sport qui voulait un autographe ou quelque chose comme ça.
— « J’ai une mission pour toi. » continua l’inconnu avec facétie.
Le jeune homme fronça les sourcils, pas vraiment sûr de comprendre où tout cela menait.
Avant qu’il n’ait pas répondre quoi que ce soit, l’homme avait déjà reprit :
— « Tu vois, j’aurais besoin de ton aide en fait. J’ai pas eu le temps d’avancer suffisamment dans mon boulot alors mes supérieurs veulent que j’accélère le mouvement. » expliqua-t-il en montrant le ciel du doigt. « Je ne pourrais jamais y arriver seul, et je suis un peu juste pour former mon nouvel acolyte. Donc, tu as l’insigne honneur d’avoir été choisi ! »
Cet homme affichait un grand sourire. Comme s’il était persuadé de proposer le boulot du siècle.
— « Ça ne m’intéresse pas. » répondit simplement l’archer, déjà fatigué de cette conversation.
Où est-ce qu’il voulait en venir ? Et pourquoi est-ce qu’il aurait envie de l’aider – qui, en toute honnêteté, n’avait pas l’air très net –.
L’homme marcha rapidement vers lui pour lui barrer la route.
— « Non, s’il te plaît, écoute-moi. Tu vas voir, c’est top ! Tu auras des pouvoirs, un nouvel arc et… promis, je te trouverai une récompense à la fin. »
— « Parce qu’en plus c’est pas payé ? Non, mais vous m’avez pris pour qui ? »
Le sourire bienveillant de l’homme face à lui se transforma en un rictus carnassier.
— « J’ai bien peur que tu n’aies pas le choix. »
Au moment même où il prononçait sa menace, il toucha l’épaule de Kang-Dae. Une décharge le parcourut.
— « Si tu ne réalises pas toutes les combinaisons sur ta liste, ma malédiction te frappera. » précisa l’homme bedonnant avec la légèreté de quelqu’un qui annonce qu’il va faire beau aujourd’hui.
Il claqua des doigts et fit apparaitre dans un nuage de fumée un arc minuscule avec des flèches dont la pointe représentait un cœur. Il les désigna en reprenant :
— « Vas-y, prends-les, je te les offre. »
— « Mais je ne veux pas ! » se rebella Kang-Dae.
Il commençait sérieusement à se demander si tout ça n’était pas le fruit de son imagination. Peut-être rêvait-il à cause de la mauvaise blague qu’on lui avait faite plus tôt ?
— « Tututu. Tu n’as plus le choix, tu es maudit, tu te souviens ? »
L’archer le regarda comme si le dernier des imbéciles se tenait face à lui.
— « Si tu l’oses, tu peux me défier et ne pas accomplir ta mission. Mais, je t’aurais prévenu. »
Il se saisit du matériel de tir à l’arc et lui mit dans les mains.
— « Tu es maintenant le fier détenteur d’un arc et des flèches de cupidon ! reprit-il solennellement. Ton but est de former les couples sur cette liste. Tu vois, je t’ai quand même mâché le travail !
« Ils ont été choisis pour leur haute compatibilité, mais pour t’assurer qu’ils se correspondent, tu dois passer quelques heures à les suivre pour garantir qu’ils rayonneront de bonheur ensemble. Une fois que tu valides, tire une flèche dans chacun d’eux — tu ne peux pas la planter à la main, j’ai déjà essayé et ça leur fait mal –. Leurs noms se barreront tous seuls sur ta liste. Et voilà ! C’est tout ! »
— « Pourquoi moi ? » souffla Kang-Dae en commençant à réaliser la mission qu’on lui avait confiée.
— « Tu es le meilleur archer du coin. » répondit simplement l’inconnu en haussant les épaules.
Alors qu’il parlait, une feuille était apparue dans les mains du jeune homme.
— « Ah ! Très important : tous ces couples doivent impérativement être formés avant la Saint-Valentin. »
— « Mais comment… ? »
Kang-Dae ne comprenait pas comment il pouvait tout accomplir en si peu de temps. Il n’y avait que 10 jours avant la Saint-Valentin et il devait recommencer son entrainement dès lundi. Il ne pourrait pas consacrer l’intégralité de ses journées à chasser des couples en devenir pour les réunir.
— « Tu découvriras bien assez tôt tous les avantages liés à ta nouvelle condition de Cupidon Junior ! » dit-il avec un clin d’œil.
Le jeune homme était abasourdi et ne savait pas du tout comment réagir. Pour commencer, il n’était même pas certain que tout cela était réel. Et ensuite, il n’avait aucune envie d’accomplir cette foutue mission.
— « Et si je ne le fais pas ? » s’énerva-t-il
— « Ah… Tu veux parler de la malédiction ? Bien, bien. Si l’on est obligé d’en arriver là. » soupira l’homme en secouant la tête de dépit.
— « Sache que si toute ta liste n’est pas complétée ou si tu t’amuses à arranger les couples n’importe comment, tu seras frappé par la malédiction que je t’ai transmise. Ton nom n’apparaitra jamais sur cette liste. Pire que tout, chacune des femmes qui pourraient te correspondre sera toujours touchée d’une de mes flèches sous tes yeux. »
Son regard avait changé. Il était devenu si noir qu’il en faisait peur. Pas une seconde le jeune athlète ne doutait que cette menace soit vraie – enfin si tout ce qu’il avait vécu ce soir était bien réel –.
— « N’oublie pas de tester tes nouveaux pouvoirs ! ajouta l’homme avec un sourire angélique. On se retrouve à la Saint-Valentin ! »
Avant même que Kang-Dae ne puisse en demander plus sur ces fameux pouvoirs, de petites ailes se déployèrent dans le dos de son interlocuteur. En deux battements étonnement gracieux, il était déjà loin.
Kang-Dae fixait le ciel là où il l’avait vu disparaitre, assommé par les évènements. Est-ce qu’il venait vraiment de devenir Cupidon ?
Cette nouvelle vous a plus ? Génial, on se retrouve la semaine prochaine pour la suite !
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