Les Folles Aventures de Margot
Épisode 1 : L'herbe est plus verte ailleurs
Samedi 10/10/2016
Alors que j’arrosais les fleurs au fond du jardin, comme tous les jours depuis le début de l’été, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elles étaient dans un sale état. Pourtant je les aspergeais autant que nécessaire, j’y veillais. Les chaleurs duraient depuis le mois de juin et le moins que l’on puisse dire c’est que septembre s’annonçait exceptionnellement doux. Tout le monde y aurait trouvé son compte, mais pas moi. Moi, j’aurais aimé que les températures baissent pour que l’entretien du jardin devienne moins pénible.
Mes parents tiennent énormément à ce massif de fleurs, mais ils m’ont bien spécifié que si l’une d’elles venait à mourir, j’en serais responsable. Si je ne voulais pas déclencher une autre dispute, il fallait que je déniche une solution pour ces fleurs dont les tiges commençaient dangereusement à se rapprocher du sol, et vite.
Je n’y comprenais rien, alors je me suis énervée :
– « Là, je ne sais plus quoi faire. Je ne vais jamais arriver à les faire survivre ! »
Dans ma frustration, j’ai jeté le tuyau d’arrosage par terre. J’avais beau être seule, cela me faisait du bien d’extérioriser ce que je ressentais.
Je les ai regardées, dépitée, un peu comme si j’avais espéré qu’elles me répondent. Quelle drôle d’idée.
Je me suis assise en face du massif de pivoines qui n’avait pas fleuri depuis qu’elles avaient emménagé sur cette platebande. À quoi bon, elles ne donnaient rien. Pourquoi mes parents accordaient-ils tant d’importance à ce que j’entretienne le jardin, de toute façon ? Un long soupire m’échappa alors que je me laissais tomber en arrière pour m’allonger dans la pelouse.
Les rayons du soleil ne brulaient pas encore et l’herbe sous moi avait gardé la fraicheur du matin. Un léger courant d’air me caressa le visage lorsque, les yeux fermés, j’ai pensé avec impatience à mon retour au collège lundi. Mais alors que cette brise m’effleurait la peau, j’ai eu l’impression qu’elle amenait avec elle un murmure. Impossible de comprendre le moindre mot. Et je me disais que c’était peut-être mon esprit qui me jouait des tours.
Tout le monde m’en parle toujours avec un regard de complaisance. Combien de fois j’ai entendu le classique :
« Tu as vraiment une imagination débordante Margot ».
J’aurais aimé pouvoir le prendre comme un compliment, mais je savais qu’à la façon dont on me le répétait ça n’en était pas un. Comme si pour les adultes, c’était une manière délicate de me dire de grandir.
Alors que je revoyais ma mère me ressasser cette formule pendant que je lui parlais seulement de la forme des nuages, le chuchotement s’intensifia.
Je distinguais clairement les mots suivants :
– « Tu crois qu’elle est morte ? » disait l’une des voix
– « Mais non, enfin. Un humain ça ne tombe pas raide mort comme ça quand c’est encore tout jeune. » répondait une autre, exaspérée
— « Vous pensez qu’elle aussi, elle a eu trop chaud ? » poursuivit une troisième voix.
Intriguée, j’ai ouvert un œil pour voir qui me sortait de ma rêverie en se demandant si je m’étais effondrée dans le jardin. Ma sœur aurait très bien pu dire ça, mais je ne l’avais pas reconnue. Et puis elle n’aurait pas murmuré, elle aurait plutôt ri à pleins poumons.
C’était d’autant plus étrange que mes week-ends étaient assez solitaires lorsque Sarah ne venait pas m’embêter pour le plaisir.
Comme il n’y avait personne, j’ai relevé un peu la tête pour regarder autour de moi. Les chuchotements continuaient :
– « Oh ! Elle a bougé ! » s’exclama l’un d’eux.
– « Est-ce que ça ne serait pas un sursaut de ses rhizomes ? » demanda sérieusement l’une des voix
– « Pivoine, les humains n’ont pas de rhizobiums puisqu’ils n’ont pas de racines ! »
Son ton suffisait à ce que je l’imagine lever les yeux au ciel.
Pourtant c’était sûr, j’étais seule ici. Alors que les voix discutaient de l’existence de rhizobium chez moi – peu importe ce que cela pouvait être –, j’en profitais pour essayer de localiser d’où les murmures s’échappaient.
Devant moi, la chose la plus folle qu’il soit était en train de se produire : le massif de plantes que je tentais de garder en vie débattait pour savoir quoi faire de moi.
Trop occupée à bavarder entre elles, je me suis rapprochée discrètement. Je n’en croyais pas mes yeux. D’où provenait le son qu’elles émettaient ? Je l’ignorais. Mais leurs pétales et feuilles s’agitaient au fil des murmures de leur conversation. De loin, je les aurais confondus avec le bruissement léger du vent venant à leur rencontre. Mais maintenant qu’elles se trouvaient à quelques centimètres de moi, j’en étais certaine, ces plantes parlaient entre elles.
– « Je ne suis pas morte, vous savez… » commençais-je.
J’étudiais la meilleure manière d’entrer dans cette conversation. Mais si je pouvais les entendre discuter, je devais le mettre à profit, car je ne savais pas combien de temps ça durerait.
Alors que j’avais fini de prononcer mes mots, un silence glacial tomba. Plus rien de bougeait, il n’y avait plus un bruit.
– « Je vous ai entendu. » ai-je insisté.
Après un instant de blanc, l’une murmura aux autres :
– « Si elle nous a compris, nous ne pouvons plus nous cacher, non ? »
Des petits grognements résonnèrent dans la brise. Enfin, une voix s’exprima clairement en direction de moi :
– « Jeune fille, c’est très fâcheux que tu aies surpris notre conversation. Habituellement, les humains ne sont pas capables de saisir ce que nous nous disons. Qu’as-tu de particulier ? »
– « Rien du tout. Je n’ai rien de spécial. Je ne savais même pas que j’avais cette aptitude. commença Margot sur la défensive. D’ailleurs, je ne vous veux aucun mal. »
– « Qu’est-ce que tu cherches dans ce cas ? » continua l’une des roses, méfiante.
Elle semblait être leur cheffe, la plus fière de toutes les plantes du massif.
J’ai dû réfléchir un instant, car je n’avais jamais imaginé qu’un jour les fleurs s’adresseraient à moi. Et comme c’était un accident plus qu’autre chose, je n’avais aucune idée de quoi leur demander. Enfin, une seule me venait en tête.
– « Il n’y a qu’une chose que j’aimerai savoir : comment pourrais-je faire pour vous entretenir ? Je vous arrose chaque jour et je vois bien que ça n’est pas suffisant. Les framboisiers sont sur le point de mourir. »
À l’inspiration de stupeur qui suivit de ma demande, j’ai compris qu’elles étaient surprises que je m’inquiète de leur bien-être. Mais qu’est-ce que j’aurais bien pu leur vouloir d’autre, de toute façon ?
C’est alors qu’elles commencèrent toutes à me donner leurs conseils.
Un peu de « arroser tard le soir et tôt le matin », du « moi j’aurais besoin d’engrais », une autre dit même avec résignation « moi, je suis mal exposée. Je suis située trop au soleil, je ne pourrais jamais tenir. »
Suite à quoi, elles se turent toutes, conscientes de devoir perdre l’une de leurs amies.
Moi je savais qu’il suffirait de la replanter ailleurs pour lui éviter d’être condamnée, je n’étais pas trop inquiète pour son sort.
Une fois leurs précieux conseils dispensés, il n’était plus question pour elles de m’adresser la parole. Ça n’était pas dans l’ordre des choses, blablabla ! Je n’avais plus aucun moyen de leur faire lâcher le moindre mot devant moi, alors je suis partie.
Et là, alors que j’allais remonter dans ma chambre, j’ai fait volte-face :
« Si tu peux communiquer avec les plantes tu ne vas pas te résigner simplement parce que les fleurs de ton jardin ne veulent pas discuter avec toi. » me suis-je dit.
En regardant par la fenêtre des escaliers, je me suis rendu compte qu’un terrain de jeu fantastique s’offrait à moi pour explorer cet étrange pouvoir. Devant mes yeux s’étendaient les champs à perte de vue qui entouraient mon village.
« Je parie qu’elles auront bien plus de choses à me raconter, ces plantes-là ! » dis-je pour moi-même.
********
L’après-midi était bien entamé et j’avais marché tout autour de la maison. Quoi que je dise, personne ne me répondait. Soit j’avais attrapé une grosse insolation en m’allongeant dans le jardin tout à l’heure… Soit aucune n’osait discuter. De quoi avaient-elles peur, au juste ?
Résignée, je me suis assise sur le bord du chemin. Je n’avais pas encore envie de rentrer à la maison, mais je n’avais plus grand-chose à faire dehors non plus.
– « Personne ne te répond ? » murmura une voix.
J’ai eu beau regarder autour de moi, j’étais seule. Peut-être ces pâquerettes au loin ?
– « Ce que tu cherches n’est pas si loin. » reprit le chuchotement avec une pointe d’amusement.
Pourtant il n’y avait rien d’autre autour de moi. Alors que j’observais tout pour tenter de trouver d’où pouvait venir le soupir, c’est là que je l’ai remarqué. À côté de moi, j’ai aperçu une plante, une mauvaise herbe que j’avais vue, mais sans vraiment la voir. Elle était là depuis le début et je n’y avais prêté aucune attention.
– « C’est toi qui me parles ? » ai-je demandé à la tige juste à côté de moi
Une bourrasque la secoua et j’aurais pu assurer l’avoir vu acquiescer. Ses longues feuilles dentelées s’étaient agitées de haut en bas, comme si elle avait opiné.
– « Aimerais-tu écouter l’histoire que j’ai à raconter ? Mon histoire ? » répondit la tige.
Sans être certaine de savoir dans quoi je m’embarquais, j’ai hoché la tête à mon tour. De toute façon, je n’avais rien à perdre, aucun autre endroit où être.
– « Je vis au coin de cette route depuis presque une année maintenant. Je vois des humains passer chaque jour. Au début, je ne comprenais pas pourquoi s’arrêter toujours pour regarder les pâquerettes et les boutons d’or. Ma robe aussi se teinte de jaune vibrant au printemps. chuchotta-t-elle dans un bruissement de vent.
« J’irais même jusqu’à dire que je suis plus élégante qu’une pâquerette. Je dois reconnaitre que mes feuilles font penser à de la salade et ne sont pas la plus belle partie de moi-même. Mais mes pétales se déployaient avec majesté et leur couleur était si vive ! J’en attirais toutes les abeilles. Et ça devrait être la seule chose qui m’importe. Mais pourquoi je ne peux pas m’empêcher de songer à tous les enfants que je vois passer au loin et qui ne s’arrêtent jamais pour moi. Je croise souvent le regard dédaigneux des autres humains. Tout cela parce que je suis, selon eux, une “mauvaise herbe”.
« Pour être honnête, je ne comprends pas exactement ce que cela désigne. Mais je sais qu’à cause de ça on me fuit comme la peste. Et malgré le funeste sort réservé aux pâquerettes, j’aurais aimé, moi aussi, être admirée et recherchée. Je voyais leurs pétales arrachés portés par le vent jusqu’à mes pieds, et leurs tiges gisant un peu plus loin sur le chemin. Pourtant, chaque fois je me demandais ce qui les différencie de moi.
« Puis vint le début de l’été et ma robe chatoyante s’est cachée pour que je puisse mettre au monde mes précieuses graines, c’est la raison même de mon existence. Grâce à ma ténacité et grâce à elles, ma race va continuer à prospérer. Mais quel espoir a-t-elle vraiment ? Dans quel monde est-ce que j’envoie mes enfants, finalement ? C’est certain qu’elles seront discriminées comme je l’ai été toute ma vie, voire même arrachées avant même qu’elles aient pu déployer toute leur beauté. Et c’est là que ça m’a frappé.
« Certes, je suis une mauvaise herbe. Mais d’avoir tenu si longtemps dans l’ombre m’a permis d’accomplir le plus splendide des actes. Tel que tu me vois aujourd’hui, toutes mes graines se sont disséminées dans l’air. Cela veut dire que j’ai donné à chacune d’elle la chance d’atterrir dans un endroit plus clément, où elles pourront peut-être se sentir à leur aise. Si j’étais née pâquerette, alors je serais morte avant la fin de l’été et mes graines auraient été condamnées au même sort l’année qui suit. »
Une brise vint agiter les cheveux de Margot. Elle aurait juré entendre un soupire se joindre aux bruits du vent.
— « Mais êtes-ce que vous êtes heureuse actuellement ? » lui demanda Margot, de plus en plus troublée par cette rencontre.
— « J’ai peut-être vécu ma vie à l’ombre, mais maintenant je vois que je n’aurais pas pu rêver mieux. Et depuis que je m’en suis rendu compte, je n’envie plus une seule pâquerette. »
Un rire léger retentit tout autour de moi.
— « Je dois même dire que je crois avoir aperçu les dernières survivantes me regarder avec jalousie à plusieurs reprises. »
La voix du pissenlit était emplie de malice. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi la fleur s’était mise à me narrer son histoire, mais j’étais touchée par ce qu’elle avait vécu.
— « Tu sais, si je te raconte tout cela c’est parce que je ne pourrais jamais transmettre cette histoire à mes descendants. Maintenant, chacune de mes graines est partie, disséminée aux quatre vents. Je ne les reverrais plus jamais. Et si cette sagesse que j’ai acquise durant ma longue existence peut te servir, j’en suis ravie » poursuivit le pissenlit, la voix empreinte de tristesse.
Tout ce qu’elle avait enduré jusqu’à présent ne lui suffisait pas pour protéger ses graines de la même vie de jalousie. Je sentais mes joues humides alors que je me mettais à la place de ce pissenlit.
Cette rencontre ne m’avait pas laissée indifférente. Et si j’avais pu lui permettre de me transmettre sa clairvoyance, je suppose que j’avais utilisé mon don de la meilleure manière qu’il soit.
— « Merci d’avoir partagé votre histoire avec moi. » lui murmurais-je.
Le soleil commençait à redescendre et je devais rentre chez moi. Je lui ai promis de venir la revoir pour que nous puissions discuter encore, puis j’ai pris le chemin du retour.
En ouvrant les yeux, j’étais à nouveau allongée dans mon jardin, près du massif de fleurs. À en juger par la lumière, l’après-midi était presque terminé.
Alors que je rentrais, les détails de mon rêve me revinrent d’un coup. Il était sacrément étrange, peut-être que je devrais l’écrire ? Tout cela m’avait semblé si réel, mais j’étais bien de retour dans mon quotidien si ennuyeux.
Au fond de moi, j’espérais que demain me réservait de vraies aventures.
Cette nouvelle vous a plus ? Génial, on se retrouve la semaine prochaine pour une nouvelle aventure !
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Merci pour ton très joli texte! C’était surprenant et très attendrissant !
Merci beaucoup ce retour qui me donne chaud au cœur. J’espère que tu apprécieras tout autant mes autres nouvelles !
Bravo pour cette superbe histoire bien écrite et pleine de poésie et de rêves.
Merci beaucoup ! Ca me touche beaucoup et ça me motive à continuer. J’espère que vous aurez l’occasion de lire d’autre de mes nouvelles et qu’elles vous plairont tout autant.