Programme Soulmates – Partie 1 –

Programme Soulmates

~ Partie 1 ~

       La journée avait été atrocement longue et Élia ne rêvait que de se couler un bon bain chaud. Demain, le voyage lui offrirait un peu de répit. Elle aurait enfin le temps de lire un peu et de se détendre.
       L’eau brûlante recouverte de mousse n’attendait plus qu’elle et au moment où elle était sur le point de glisser un pied dedans, quelqu’un frappa à sa porte.

       « Quoi encore ? » pensa-t-elle, excédée.

       La jeune femme enfila un peignoir, traversa sa chambre et alla ouvrir.

       « Oh, ça n’est que lui. » songea-t-elle.

       —  « Tu allais te coucher ? » demanda-t-il sans entrer.

       — « Oui, je suis épuisée par la journée. Et je ne veux pas passer mon temps à dormir dans la voiture demain. »

       — « Tu ne préfèrerais pas faire un truc un peu fou ? »

       L’étincelle dans les yeux de l’homme en face d’elle ne lui disait rien qui vaille. Surtout qu’il ne lui avait jamais vraiment adressé la parole avant.

       La jeune fille lui jeta un regard méfiant. Elle n’avait pas très envie de se faire embarquer dans ses combines.

       — « J’ai prévu de sortir en ville » continua-t-il.

       Ses yeux s’écarquillèrent.

       —  « Mais tu es fou ? Et pourquoi tu me le dis ? Je ne veux pas être mêlée à ça ! » explosa-t-elle en regardant nerveusement dans le couloir pour voir si quelqu’un les avait entendus.

       — « Oh, on ne fera rien de mal. Pour une fois, on va s’éloigner un peu de tous ces hôtels. Tu ne te demandes pas comment c’est à l’extérieur ? »

       — « Tu sais très bien ce qu’il peut arriver si on sort. » lui répondit-elle sèchement.

       — « J’ai bien réfléchi, et les chances sont très, très faibles. Regarde tout le temps qu’on a déjà passé ici. Qu’est-ce qu’on risque ? »

       Ne voulant pas en entendre un mot de plus, elle le congédia froidement avant de fermer sa porte.

       « Non mais quelle idée ? »

       Alors qu’elle plongeait dans son bain encore chaud, elle restait révoltée par ce qu’il avait eu l’audace de lui proposer. Ils n’avaient pas le droit de sortir, c’était la règle numéro 1 et la plus formelle.
       Évidemment, elle aussi aurait rêvé de voir à quoi ressemblaient les pays qu’ils parcouraient, de mettre les pieds hors de sa chambre d’hôtel pour découvrir le monde. Mais les enjeux la dépassaient.

       À mesure qu’elle se délaissa dans l’eau parfumée, ses souvenirs refaisaient surface.

       « Élia, je te présente les autres enfants du programme. » lui avait-on dit alors qu’elle serrait très fort sa peluche contre elle.

       La seule chose qu’elle voulait, c’était revoir ses parents. – si elle avait su à ce moment-là qu’elle ne les reverrait quasiment jamais ! –

       Elle avait passé plusieurs jours entiers plongée dans un mutisme.

       La jeune femme soupira alors qu’elle glissait encore un peu plus profondément dans son bain. Quel enfant, à 4 ans, peut comprendre l’impact de ce qu’on lui explique ?

       « Tu vas devenir une personne spéciale, Élia. Nous allons tout faire pour. Et pour que tu puisses te transformer en cette personne incroyable, tu vas devoir partir loin. Pendant très longtemps. Mais ça va être merveilleux, tu vas parcourir le monde aux côtés d’autres enfants ! »

       C’est probablement son plus lointain souvenir, bien qu’elle n’arrive pas à se rappeler du visage de sa mère à cette époque. Mais la réminiscence de la douceur dans sa voix lui laissa les yeux humides.
       Aujourd’hui encore elle ne comprenait pas pourquoi ses parents avaient choisi de sceller sa vie et son destin de cette manière. Certains jours, elle préférait n’avoir aucune chance de rencontrer son âme sœur plutôt que de rester coincée dans cette prison dorée.

       De rage, elle s’essuya la joue. Il n’y avait pas la place pour ce genre de pensée. Elle devait aller de l’avant. Ressasser ses souvenirs n’y changerait rien : ça n’est pas elle qui avait pris la moindre décision.
       Pour s’échapper de sa réalité douloureuse, elle se saisit de son livre. C’était bien la seule manière dont elle pouvait s’évader hors de sa chambre et du Programme.

*******

       Plus les mois et les années passaient et plus la monotonie de ses journées la suffoquait. Allait-elle vraiment consacrer sa vie entière au rêve de ses parents ?
       Rester immobile le plus clair de son temps pour fixer dans les yeux tous les étrangers qui venaient se présenter à elle contre une petite pièce, ça n’avait rien à voir avec l’existence qu’elle imaginait dehors. Mais elle n’avait connu que ça depuis sa plus tendre enfance. Déjà, onze des jeunes gens avec qui elle avait grandi au cours de ce Programme Soulmates étaient partis. L’un avait trouvé son âme sœur. Mais pour les dix autres, la rumeur circulait que leurs familles ne voulaient plus payer. Et peut-être bien que c’était eux les chanceux.
       Elle n’avait rencontré que rarement ses parents. Mais ce qui lui permettait de tenir toute la journée, c’était de savoir que bien qu’ils possèdent la moitié du marché des imprimantes, ils sacrifiaient beaucoup pour qu’elle ait le plus de chance possible de croiser la personne qui la « rendra spéciale », comme ils aimaient le dire.

       Elle soupira intérieurement et demanda son quart d’heure de pause de l’après-midi un peu plus tôt qu’à son habitude. Elle avait besoin d’air et de se reprendre. Quelques lignes de son livre favori lui suffiraient à s’évader assez pour réussir à surmonter la fin de la soirée.
       Le pire, c’est qu’elle ne pouvait pas s’occuper à autre chose pendant que ces inconnus défilaient : non, elle devait les regarder droit dans les yeux. Personne ne savait vraiment comment la chimie de l’âme sœur fonctionnait tellement le phénomène était rare. Mais tout le monde estimait que ça ne coutait rien de plonger ses yeux dans ceux de l’autre. Au cas où. Si elle les détournait trop longtemps, il y avait toujours l’un des employés du Programme pour la reprendre. Et chaque minute de perdues… Je pense que vous n’imaginez même pas combien de rencontres cela représente.
       À les entendre, elle devait être reconnaissante qu’on lui octroie trois fois un petit quart d’heure de pause dans sa journée.

 

       Plus les années passaient, plus elle contemplait sa propre existence avec pitié. Après tout, elle n’avait jamais rien fait : c’est tout juste si elle avait réussi à persuader le Programme de pouvoir apprendre la lecture et les mathématiques le soir une fois le défilé d’inconnus terminé. Comme si ça n’importait pas qu’elle soit ignare, tant qu’elle développait un pouvoir.
       Les chambres d’hôtel rivalisaient toujours de luxe et de confort. Au cours de l’une de leurs étapes, elle avait même pu bénéficier d’un hammam personnel. Et les rares fois où ses parents lui avaient rendu visite, ça n’avait été que pour se congratuler d’avoir choisi un si bon environnement pour élever leur fille un peu plus haut qu’eux.
       Et le jour où elle aurait rencontré cette fameuse âme sœur, il se passerait quoi ? Elle en frissonna.

       C’est bien la question qu’elle ne se posait jamais. S’ils ne s’entendaient pas ? Est-ce qu’elle devrait la payer pour qu’elle reste à ses côtés ? Que penserait sa famille si ça ne fonctionnait pas et qu’ils décidaient de poursuivre des routes différentes ?

       Face au miroir des toilettes, elle commença à manquer de souffle. Ces petites pauses ne suffisaient plus à apaiser ses angoisses.
       Peut-être était-elle mieux à retourner dans son fauteuil et oublier la notion du temps, à attendre que son prince charmant arrive.

       Une fois assise, ses yeux menaçaient toujours de laisser couler de grosses larmes. Elle tentait de les retenir autant qu’elle le pouvait, pour que personne ne remarque rien.

       — « Est-ce que ça va ? » murmura une voix à sa gauche.

       Qui lui parlait ? Ces séances étaient d’habitude enveloppées d’un silence pesant que personne ne brisait jamais. Si bien qu’elle s’y était habituée.

       Elle tourna la tête un bref instant, en pleine confusion.

       — « Non, regarde droit devant toi. » ajouta-t-il avant même qu’elle n’ait fini son mouvement.

       Élia reprit ses esprits et continua à regarder dans les yeux chacun des étrangers qui se présentaient à elle.

       — « Qu’est-ce que tu veux ? » lui répondit-elle à voix basse

       — « Ça n’a pas l’air d’aller, est-ce que tu as envie d’en parler ? »

       — « Non. »

       Elle était déterminée à ne pas se détourner de son objectif.

       — « Comme tu veux. Mais on vit tous la même chose. Tes doutes et tes inquiétudes, je les ai aussi. »

       Elle lui jeta un regard du coin de l’œil, sans bouger la tête. Il avait l’air sérieux.

       — « Mais on ne peut pas parler. » finit-elle par souffler après de longues minutes de réflexion.

       Cette phrase à elle seule suffit à lui déclencher un rire.

       — « On ne peut pas tourner la tête. » corrigea-t-il.

       — « Est-ce que tu es sûr de ça ? »

       Bien qu’elle en doute, elle soupçonnait qu’il devait peut-être avoir raison. Tant que leurs regards ne se décrochaient pas des inconnus, alors on ne pouvait rien leur reprocher.

       — « Bien sûr, je passais mon temps à discuter avec Amad avant qu’il parte. »

       Du coin des yeux, elle aperçut le clin d’œil qu’il lui avait adressé.

       Ça expliquait enfin pourquoi aucun des deux n’avait l’air malheureux comme les pierres, contrairement à tous les membres du Programme.

       — « Mais je te préviens. C’est tout un art de parler à quelqu’un sans le regarder. Et en chuchotant. Ça demande beaucoup de concentration de ne pas se détourner. »

       Cette idée raisonna comme un défi auprès de la jeune fille. Nombre de fois, elle avait rêvé de trouver une distraction pendant sa journée, mais elle ne pouvait pas lire puisque ses yeux étaient occupés ailleurs. Elle ne pouvait pas non plus danser ou s’adonner à une quelconque activité manuelle. Pendant des années, Élia avait cherché ce qu’elle pourrait bien faire en ne quittant pas les pupilles des inconnues une seule seconde. Et bien que la solution soit si simple, elle ne lui était jamais venue à l’esprit.
       Pourquoi ? Parce qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de se lier d’amitié avec l’un des membres du Programme. Ces journées trainaient en longueur et la dernière chose qu’elle voulait faire après, c’était socialiser. D’autant plus que s’ils ne s’entendaient pas, elle devrait tout de même vivre avec eux pendant d’innombrables années.

       Mais si c’était pendant sa journée… Alors elle n’avait rien à perdre. De toute façon, le nombre de gens dans le Programme s’amenuisait. Des conversations qu’elle avait saisies, une nouvelle génération allait bientôt les rejoindre. Ils allaient donc être entourés d’enfants désorientés qui piqueraient des crises pour tout et n’importe quoi.

       « Une vie de rêve. » pensa-t-elle en se remémorant cette expression que sa mère ne cessait de lui répéter.

********

       Elle inspira un grand coup puis frappa à la porte. Ces dernières semaines l’avaient bouleversée. Jamais elle ne s’était sentie aussi vivante que depuis qu’elle avait commencé à parler à Wang. Pour la première fois, elle construisait une relation par elle-même et non au travers des fictions qu’elle dévorait.
       La jeune fille s’était même surprise à délaisser ses mondes imaginaires pour passer quelques heures en sa compagnie certain soir. Des sentiments qu’elle n’avait jamais connue s’étaient éveillés en elle et toutes les années qu’elle avait perdu sans vraiment saisir le sens de la complicité lui parurent soudain si ternes. Et ses livres lui apparurent d’une profondeur qu’elle n’avait jamais envisagée.

       Mais ce soir, elle ne tenait pas à s’appesantir sur ce qu’elle avait raté. Au contraire, elle était déterminée à rattraper ce qu’elle n’avait pas pu vivre et à s’abandonner à autant de découvertes que le monde voudrait bien lui présenter.

       La porte s’ouvrit et elle pénétra dans sa chambre.

       Elle commençait à avoir ses habitudes et alors qu’il finissait de se sécher les cheveux, elle s’assit sur lit comme elle l’avait fait des dizaines de fois les jours précédents.

       — « Tu as un peu de temps ? » demanda-t-elle distraitement.

       Sous ses airs innocents, elle avait une idée fixe en tête. Parce qu’aujourd’hui n’était pas une journée comme les autres.

       — « Comme si je pouvais avoir quoi que ce soit de prévu. » répondit-il en soupirant.

       — « Tant mieux, parce que je vais avoir besoin de toi. »

       Un sourire malicieux commençait à poindre sur son visage. La jeune fille avait une idée bien précise en tête.

       Elle se laissa tomber sur le lit dans un soupire.

       — « Aujourd’hui, je fête mes 20 ans. »

       Élia avait lâché ça comme un cheveu sur la soupe. En même temps, comment ce genre de choses peut venir dans la conversation ? Et puis elle préférait ne pas affronter le regard de son nouvel ami — si elle osait l’appeler ainsi, ça lui paraissait fou ! — quand un silence gênant s’en suivit.
       Soit il s’en fichait, soit un malaise s’installait parce qu’il n’avait rien prévu.

       — « Mais t’inquiète pas, j’ai une idée en tête. Tu te souviens quand tu as frappé à ma porte il y a quelques mois ? Est-ce que tu as réussi à sortir ? »

       Wang sourit, il avait parfaitement compris où elle voulait en venir.

       — « On part demain, et j’aimerais visiter la ville. » finit-elle par dire dans un souffle, elle était éblouie par sa propre audace.

       Cette idée la terrifiait et l’excitait en même temps. Mais elle était certaine de vouloir voir au moins une fois à quoi ressemblait l’extérieur. Même depuis sa chambre d’hôtel elle n’avait jamais aperçu les mille lumières et le tumulte de cités qu’ils parcouraient.
       Le Programme les avait sans doute sélectionnées soigneusement pour ne pas les tenter de poser un pied dehors. Si bien que la seule image qu’elle en avait était celle qu’elle s’était faite en lisant.

       Mais il était temps pour elle de vivre ses propres expériences.

       Devant le silence de son ami, elle se redressa. Sans un mot, il avait commencé à rassembler quelques affaires dans un sac à dos et sortait des vêtements discrets.

       — « Alors c’est oui ? » demanda-t-elle sans vraiment y croire.

       — « Comment je pourrais refuser une escapade dehors ? Et en plus pour ton anniversaire ? »

       Le cœur de la jeune fille se mit à battre la chamade. Elle qui jamais n’avait voulu tenter le destin se retrouvait à ne rien désirer de plus fort.


Cette nouvelle vous a plus ? Génial, on se retrouve la semaine prochaine pour une nouvelle aventure !

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