Les fils de Krampus

Les fils de Krampus

        Aujourd’hui, chacun des elfes effectuait la même corvée à la Fabrique : emballer les jouets qu’ils avaient durement produits les semaines précédentes.
        Pour Xarinth, aucune des deux tâches n’était plus pénible que l’autre. Cela signifiait surtout que la saison du travail touchait à sa fin et que bientôt, il pourrait retourner à sa vie. Et cette année, il le savait, tout serait différent.

        Alors que les joujoux s’amoncelaient devant lui, il prenait chacun d’eux, retirait l’étiquette accrochée autour par une ficelle, le déposait dans une boite qu’il recouvrait de papier cadeau puis décollait l’étiquette pour la coller sur la boîte. Comme ça, aucun présent n’était jamais échangé. Chaque elfe mentirait s’il disait qu’il n’avait pas déjà mélangé des jouets, par étourderie ou bien par facétie.
        Cette année, Helena recevrait une petite voiture et Youssef une tête à coiffer. Et peut-être qu’ils seraient très heureux avec ces cadeaux, mais Xarinth aimait imaginer leurs visages déconfits à l’ouverture du paquet.
        Évidemment, il ne pouvait pas, toute la nuit, commettre ces « erreurs » sinon, elles seraient remarquées tôt ou tard. Un jouet par-ci, par-là passait toujours inaperçu selon sa propre expérience.

        Les aiguilles semblaient ne jamais finir leur tour de cadran quand quelqu’un lui tapa sur l’épaule.

        — « Tu vas t’occuper du chargement maintenant. » lui dit son quartier-maitre.

        — « Mais il y a encore beaucoup d’emballage. » protesta Xarinth en désignant la pile débordante de jouets sans boite.

        — « D’autres finiront. On a besoin de commencer à remplir le traineau. »

        Par dépit, il colla sa dernière étiquette sur son paquet et quitta son poste. Fabriquer ou emballer, peu lui importait. Mais le chargement, c’était bien la chose qu’il détestait le plus. La nuit du 23 décembre, il fallait s’y attendre étant donné que la tournée débutait le lendemain midi. C’est bien pour ça qu’il abhorrait être en service la dernière nuit de travail : il ne restait que les tâches ingrates et les petites bricoles que personne n’a pris le temps de faire plus tôt.

        Il jeta un regard haineux à l’elfe qui supervisait l’atelier, du haut de son bureau à l’étage supérieur.

        « Demain sera bien différent » se répéta-t-il alors qu’il chargeait des hottes entières de cadeaux soigneusement organisées dans l’ordre de la tournée du lendemain.

        Lorsque l’horloge sonna les coups de 5 h, il laissa tout en plan.

        — « Tu ne peux pas rester un peu plus ?  On a besoin d’aide. » tenta le superviseur qui n’avait pas hésité à mettre la main à la pâte pour combler le retard.

        — « Non, désolée, j’ai un rendez-vous. »

        — « Tu auras le droit à des crédits d’heure pour l’an prochain. » insista l’autre elfe.

        Bien évidemment, il lui proposait de rester : le travail était loin d’être terminé et pourtant l’heure fatidique arrivait. Mais Xarinth n’était pas de nature généreuse en ce qui concernait la Fabrique.
        Il avait déjà fini de retirer son tablier et s’apprêtait à ouvrir la porte.

        — « Non, ça ne m’intéresse pas, désolé. Mais bon courage quand même ! »

        Il jeta un regard entendu à un autre elfe en train de remplir des hottes des paquets cadeaux.

        — « Demain sera un jour meilleur » lui glissa-t-il avec un clin d’œil avant de disparaitre du quai de chargement.

        Il traversa la Fabrique à toute vitesse et se dirigea vers les tunnels. Par ce froid, personne ne sortait la nuit dans les rues. Du moins, pas avant l’aube artificielle qui les faisaient oublier à quel point il faisait sombre en dehors de la ville.
        D’après certains, ce mécanisme avait été mis en place pour tenter de minimiser la double peine des ouvriers avec l’absence totale de soleil pendant les mois de travail à la Fabrique.
        Alors chaque matin, une lumière douce éclairait la cité et la neige était dégagée des routes. Et ce n’est qu’à partir de cet instant que les elfes parcouraient les rues de la capitale.

        Xarinth courut à travers les tunnels comme si sa vie en dépendait. Il avait terminé tout juste à l’heure de début de sa réunion et il refusait d’en perdre une miette. C’était bien trop important pour que la Fabrique lui enlève ce moment.

        — « Après ça, le groupe A traversera la cour. Vous verrez, le chemin sera évident. »

        Le jeune elfe s’installa dans le fond de la salle après avoir salué du regard ses amis sans prononcer un mot pour ne pas déranger l’explication en cours.

        — « Ce que vous verrez ne sera peut-être pas très beau. Mais c’est capital que vous continuiez comme si vous n’aviez rien vu. Votre objectif se situera juste devant vous. Et pour la suite… Vous savez ce que vous avez à faire. »

        La détermination qui brulait dans ses yeux captivait chacun des elfes assis dans la pièce.

        — « Demain sera un jour meilleur. » cria l’un de membre de l’assemblée, bientôt rejoint par chacun des elfes présents.

        — « Demain, le sorcier Nickolas tombera et notre peuple se dressera fièrement ! » renchérit l’un des leaders avec ardeur.

        Les partisans étaient euphoriques

        — « Pour Krampus ! » cria Xarinth bientôt suivi par tous les partisans de la pièce.

        Lui-même n’en revenait pas de participer à cet évènement qui allait profondément changer l’histoire de son peuple. Il ne le faisait pas pour lui – peut-être même qu’il ne survivrait pas –, il ne pensait qu’au futur de sa nation. Sa race avait souffert depuis bien trop longtemps sous le joug de la dynastie de sorcier qui les gouvernait injustement.
        Il était grand temps que les elfes soient à nouveau dirigés par l’un d’entre eux et plus part un humain. Seul un elfe à leur tête permettrait de faire passer leur bien-être en priorité.

        Alors qu’il buvait son vin chaud, Laedryl vint poser sa main sur son épaule.

        — « Tu es prêt pour tout à l’heure ? Tu as besoin qu’on revoie le plan ensemble ? » lui demanda-t-elle.

        Xarinth savait bien que ça n’était pas uniquement par gentillesse, mais bien parce que chacun d’eux jouait un rôle primordial. Tout devait se dérouler selon un ordre bien précis et si le moindre grain de sable se glissait dans l’engrenage alors tout pouvait basculer.

        — « Oui, tout est clair. Je vais participer à la première vague offensive sur le palais. »

        — « Super. Et tu as pu amener avec toi ce qu’il fallait ? »

        — « J’ai tout rapporté ces derniers jours. Comme je venais directement de la Fabrique, je voulais m’assurer que personne n’aperçoive la moindre corne. »

        — « Et personne ne t’a suivi ? »

        La sècheresse de sa bouche en disait long sur son anxiété.

        — « Non, j’y ai bien fait attention. »

        — « Bien. » finit-elle avec un sourire avant d’aller discuter avec un autre des partisans.

        Xarinth n’en pouvait plus d’attendre que l’aube pointe son nez. Les minutes de l’horloge semblaient durer des heures. Il répétait la scène sans cesse dans sa tête, imaginant leur glorieux champ de bataille.
        Le sorcier avait normalement assez peu de défense puisque la cité n’était habitée que par des elfes. Et bien que chaque elfe qui se respecte maîtrise l’art de se battre, aucune armée à proprement parler n’avait été formée. Comme si les humains n’allaient plus jamais tenter de les envahir. Mais Nickolas XII était un magicien, personne ne savait de quoi il était capable.

        Il regarda tous les partisans de Krampus autour de lui. Certains d’entre eux étaient arrivés ici car, depuis plusieurs générations, leurs familles n’attendaient que la libération des elfes. D’autres les avaient rejoints à peine quelques mois plus tôt. Et ce groupe, bien qu’hétéroclite, allait les mener à la victoire.

        Certains d’entre eux patientaient en écoutant le meilleur orateur raconter pour la énième fois cette belle légende qui les unissait tous.

        « Il y a bien longtemps, ces contrées enneigées étaient disputées par les humains aux elfes. Bien que les elfes aient éternellement vécu sur ces territoires reculés et inhospitaliers, l’avidité des humains n’avait pas de limites.
        Été après été, ils grignotaient constamment un peu plus de ces terres que notre peuple avait toujours connu. La dernière bataille, qui amena la paix entre nos deux peuples, dura cinq longs mois. Les humains n’avaient pas l’habitude de se battre en hiver sous des tempêtes de neige et des températures si basses. Et c’est grâce à cet avantage que notre peuple gagna sa liberté.
        Krampus, le fier guerrier et leader des elfes, avait établi ce plan minutieusement pour triompher dans cette guerre qui ne finissait jamais. Et son génie stratégique lui permit de l’emporter plusieurs mois avant ces propres estimations. »

        — « On connait tous la version du livre d’histoire ! » intervint l’un des elfes de l’assemblée sous les rires généraux.

        — « Laissez-moi vous raconter cette glorieuse bataille qui scella la victoire de notre peuple sur les humains. Ou tout du moins, qui nous a permis jusqu’ici de ne plus avoir à les affronter à nouveau.

        « Le 24 décembre est un jour férié qui célèbre ce fameux traité de paix. Celui qui nous avions attendu tant d’année en versant le sang de nos compatriotes.
        Mais alors que Krampus, leader de génie, était celui que tout le monde espérait, un autre monta sur le trône : Le sorcier des glaces Nickolas I.
        Pourquoi le grand Krampus n’a pas dirigé notre nation ? Les preuves se sont perdues dans les siècles qui nous séparent de ces faits. Mais on peut affirmer que jamais un elfe aussi fier que lui n’aurait laissé un humain – ces oppresseurs contre lesquels nous nous étions battus si longtemps – nous gouverner. Non !
        Peut-être que l’enchanteur ne maitrisait pas que la magie de la glace ?
        Alors que ce traité de paix devait nous garantir une nouvelle prospérité, il nous enchaina pour toujours à la Fabrique. Ce lieu de la honte où nous sommes forcés de travailler pour assouvir les désirs des enfants humains. Et tous les hivers, le jour de l’Armistice, Nickolas le grand sorcier des glaces disparait pour aller leur livrer leurs “cadeaux”. Pourquoi ? Pourquoi subissons-nous encore cet accord signé des siècles plus tôt ?
        Il est temps de reprendre ce qui nous appartient !

        Et dans quelques heures, nous allons écrire une nouvelle page de l’histoire : celle où les Fils de Krampus, de fiers guerriers, ont donné leur vie comme les combattants de la Grande Guerre l’on fait avant eux pour sauver le pays des elfes de l’oppression.

        Demain, plus aucun sorcier des glaces ne régnera sur cette ville. »

        Les clameurs se firent entendre de part et d’autre alors que bon nombre de partisans s’étaient rassemblés pour l’écouter parler de leur réussite flamboyante.

        Plus qu’une heure avant l’aube. Il était temps de se préparer au combat.

        Xarinth alla chercher tout le matériel qu’il avait laissé ici quelques jours plutôt. Il enfila son masque en bois surmonté de deux grandes cornes, une peau de bête à poil long et prit ses armes.
        Plusieurs années durant, il avait peaufiné son uniforme de bataille. Chaque élément, confectionné à la main, servait à faire comprendre qui ils représentaient. Ça leur donnait un aspect terrifiant. Mais c’était certainement pour ces raisons que Krampus avait choisi tous ces éléments lorsqu’il combattait pour leur liberté.

        Il contempla l’épée courte attachée à sa taille avec scepticisme. Tous ne pouvaient manier un arc, sans quoi l’offensive ne pouvait se tenir qu’à distance. Alors, Xarinth avait appris autant qu’il le pouvait à se battre avec cette arme qui n’était plus utilisée depuis la Grande Guerre.

        Dans quelques heures, ils auraient changé le destin des elfes à jamais. Dans quelques heures, tout serait différent.


Cette nouvelle vous a plus ? Génial, on se retrouve la semaine prochaine pour la suite !
N’hésitez pas à aller jeter un coup d’oeil à la partie précédente si vous ne l’avez pas lui

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