— « Mademoiselle Laxis est arrivée. » dit l’homme qui m’avait tenu la porte avant de la refermer en partant.
D’un coup, il n’y eut plus aucun bruit et toutes les têtes se tournèrent vers moi. Et je ne savais toujours pas ce que je faisais là.
— « Moi je pense qu’il faut lui envoyer une bombe atomique ! » s’enflamma l’homme assis à ma droite en tapant du poing sur la table.
À en croire son uniforme et les informations que j’avais glanées depuis mon entrée dans la pièce, c’était un militaire de carrière, un général même, de ce que j’avais compris. Il arborait de nombreuses médailles sur sa poitrine et son képi était richement décoré de broderies dorées. De ce que j’avais vu, quelques étoiles s’affichaient sur ses épaulettes. Je ne m’y connaissais pas en grade militaire, mais il ne faisait aucun doute que c’était une personne très importante.
— « Sommes-nous vraiment certains de la trajectoire de la météorite ? »C’est un autre homme qui avait parlé, lui aussi miliaire je crois bien. Peut-être que l’un servait dans l’armée de terre et l’autre de l’armée de l’air ? Mes souvenirs sont un peu confus, les choses se sont passées trop vite ce jour-là. Néanmoins, cet homme-là se montrait beaucoup moins vindicatif et extrêmement calme face à la situation.
Les regards se sont à nouveau braqués sur moi. Je leur avais déjà expliqué tout ce que je savais, mais tout ce que j’avais découvert n’était que de simples observations depuis mon modeste télescope personnel et ce que j’avais pu collecter sur internet en discutant avec des astronomes du dimanche. Je n’avais ni les outils ni les capacités pour définir avec précision la trajectoire de l’objet céleste.
— « C’est seulement un astéroïde pour l’instant, il n’est pas encore entré dans l’atmosphère » ai-je commencé d’une petite voix. « Je ne peux pas l’affirmer avec certitude. Mes observations ne sont pas comparables avec ce que l’ESA ou bien tout autre télescope plus puissant que le mien pourraient révéler. »
J’ai glissé discrètement mes mains sous la table pour me gratter les onglets nerveusement. Je sentais que ma présence ici était primordiale, mais pour autant je n’avais pas l’expérience nécessaire pour leur apporter les informations dont ils avaient besoin. Peut-être même que je leur faisais perdre un temps précieux.
L’écran face à la table s’alluma et un graphique apparu si grand que chacun pouvait en voir tous les détails.
Une voix résonna dans le haut-parleur posé au centre : « L’ESA vient de nous communiquer leurs dernières analyses. Elles s’affichent à l’instant ».
Le diagramme représentait la trajectoire estimée de l’astéroïde ainsi que la position de la Terre au moment où les deux orbites devaient se croiser : en juillet. La courbe décrite par l’énorme roche s’annonçait dans un premier temps rassurante, elle s’approchait de nous, mais sans se diriger totalement vers nous. Seulement, avec le champ de gravitation, ce contournement n’était pas assez lointain. Et si nous n’agissions pas, elle serait attirée inexorablement vers notre planète.
Alors que la voix du haut-parleur nous expliquait tout cela, elle enchaina avec un second graphique. Celui-ci représentait les potentielles trajectoires que pouvait prendre l’astéroïde dans plusieurs scénarios. Nous avions d’abord la possibilité de la dévier de sa trajectoire initiale pour faire en sorte qu’il passe à une distance suffisante pour que nous ne l’attirions moins et qu’il contourne la Terre. La seconde option était de le détruire. À l’aide de quoi ? La personne à l’autre bout du téléphone ignorait la réponse. Mais si ce cas-ci était adopté, alors la surveillance de l’objet devrait devenir très pointue pour que nous ayons la certitude que l’un des fragments ne vienne pas s’échouer sur notre planète.
Aucun des deux scénarios ne s’annonçait très positif. Les deux présentaient des risques énormes, et un taux de réussite totale très faible. Mais il fallait statuer sur l’option à choisir. Et surtout, la décision devait être prise à cet instant. Il restait quatre mois avant que la météorite n’entre dans l’atmosphère de la Terre, il n’y avait pas une seconde à perdre si nous voulions avoir une chance de survivre.
Une fois que la personne à l’autre bout du fil avait fini de nous détailler tous les risques et toutes les possibilités pour l’un et l’autre de ces cas de figure, elle fut congédiée.
Alors qu’un brouhaha où chacun y allait de son avis commençait à s’élever, une femme maigre au visage creusé par ses responsabilités se leva et prit la parole.
— « Allons. Le Conseil attend notre position au plus vite. »
À peine avait-elle bougé que chaque individu autour de la table s’était instantanément tût. Dans ses yeux, je lisais qu’elle savait que tous l’écouteraient au moment où elle prendrait la parole. Sa confiance en elle me fascinait, surtout face à ces hommes parfois prompts à l’argumentation. Sans que je le remarque, ma bouche s’était entrouverte de stupéfaction.
La femme d’une quarantaine d’années s’était légèrement penchée en avant, ses deux mains sur le bureau, avant de continuer à parler.
— « Chacun disposera de quelques minutes pour expliquer son point de vue. Nous allons faire un tour de table. Si besoin, nous débattrons, mais pas trop longtemps. Et en cas d’ex-aequo, c’est notre experte qui tranchera. Qu’en pensez-vous ? »
L’assemblée hocha la tête. Je n’aurais pas imaginé un seul instant les voir s’accorder sur un sujet lorsque j’étais entrée dans la salle.
Même si j’étais d’accord, au fond de moi j’espérais surtout ne pas avoir à décider. Je ne me sentais pas prête à porter une telle responsabilité. Alors que chacun donnait son avis sur la question, je laissais enfin un peu tranquilles mes ongles. Quoi qu’il arrive, tout le monde allait voter pour l’une des méthodes. Personne ne pouvait être contre, et personne ne pouvait savoir laquelle des deux serait la meilleure. Quoi qu’il arrive, rien n’était vraiment sous notre contrôle, nous n’avions qu’une faible influence sur la situation. Et surtout, nous n’avions aucun moyen de maîtriser le résultat autant pour le détournement que pour l’explosion. Nous devions seulement tenter de faire au mieux avec le peu que nous savions.
Alors que chacun y allait de son argument, j’ai été surprise que le tour de table m’inclue. J’avais beau me trouver là en tant qu’« Experte », je m’en considérais très loin.
Comme c’était ce qu’on attendait de moi, j’ai rassemblé mes avis et mon courage avant de dire d’une petite voix :
— « Eh bien moi, je pense qu’il vaut mieux… »
En voyant l’homme face à moi lever les yeux au ciel comme s’il était déjà exaspéré de devoir m’écouter, je me suis arrêtée. Je me suis éclairci la gorge et j’ai continué plus fort, avec une assurance que je ne me connaissais pas :
— « De mon point de vue, il vaut mieux d’abord tenter de dévier sa trajectoire. Mais nous devons nous tenir prêts si jamais ça ne suffisait pas. De la même manière, si nous décidons de l’exploser, nous devrions préparer d’autres sondes prêtes à intervenir au cas où certains éclats nous menaceraient toujours. Je pense que nous ne pouvons pas nous contenter d’avoir un plan A, il nous faut de quoi réagir si les choses ne se passaient pas comme prévu. Il s’agit de la survie de notre espèce, nous ne pouvons rien laisser au hasard ! »
Voir tous les regards sur moi, attendant mon opinion comme si c’était l’une des plus pointues, m’avait donné des ailes.
Tous hochèrent la tête, convaincus par ce que je venais de dire.
Aucun débat n’eut lieu, personne n’avait de questions supplémentaires. La femme qui semblait présider la réunion nous demanda de voter à main levée.
4 votes pour dévier l’astéroïde. 6 pour l’exploser.
Notre décision était donc prise. D’ici ce soir, tous les pays ayant connaissance du problème se seront prononcés et, ensemble, auront établi un plan d’action pour la sonde. Elle était déjà en train d’être armée et s’apprêtait à décoller pour l’objet stellaire, elle n’attendait que les dernières instructions.
*************
J’avais été catapulté sur Terre il y a déjà plus d’une semaine et jusqu’ici, aucune de mes pistes ne s’était révélée concluante.
Au retour de ma journée, je m’affalais sur mon lit d’hôtel, dépité. J’ai observé un long moment le plafond taché, puis le couvre-lit désuet et le crépi des murs. Apparemment, même si nos missions étaient capitales, les agents n’avaient le droit qu’au bas de gamme pour se loger. Dany m’avait trouvé cette chambre en vitesse, dès qu’il avait été prévenu de mon arrivée. D’après lui, c’était la meilleure du coin, car le Wi-Fi était en illimité. Il avait dit ça avec tellement d’entrain que je ne m’étais pas attendu à un endroit si miteux. En plus de ça, je n’avais pas la climatisation et il commençait à faire de plus en plus chaud.
Après un long soupire, j’ai sorti mon calepin de ma poche et j’ai barré la dernière ligne de ma liste : des extra-terrestres auraient pris la place de certains dirigeants.
J’ai attrapé l’ordinateur portable posé sur sa table de nuit et je me suis remis au travail. Le temps filait et si je ne voulais pas mourir avec tous les autres habitants, il n’avait pas une seconde à perdre, peu importe mon état de fatigue.
Dany, mon agent de terrain, m’avait appris quelques ficelles du métier à mon arrivée. Il m’avait donné des vêtements d’époque — même si je doutais très fortement de sa capacité à savoir ce que les humains portaient en 2012 —, une chambre d’hôtel, un ordinateur portable et un téléphone. Il avait enregistré son numéro dedans en cas de soucis, mais il m’avait bien fait comprendre plusieurs fois qu’il ne m’aiderait pas. Il s’occupait d’autres cas et n’avait pas le temps pour mes problèmes. Malgré cet accueil assez froid, il m’avait rendu de grands services. Sans lui, je n’aurais même pas su où me procurer tous les appareils électroniques que j’utilisais.
Il m’avait montré sa source principale pour détecter d’éventuelles anomalies à examiner : les forums de théories du complot. D’après lui, les gens qui y discutaient étaient très souvent un peu timbrés. Mais, c’est là qu’on trouvait les meilleures pistes. Parmi tous ceux qui contribuent aux conversations, certains ont vraiment été témoins de quelque chose. Et la qualité d’un bon agent — toujours d’après lui — c’était de savoir lire entre les lignes pour repérer ces humains-là qui, en sommes, réalisaient une grosse partie du travail à notre place.
Alors, en continuant de suivre les bons conseils de celui qui était devenu mon mentor, je repris mes recherches à l’endroit où je les avais laissées avant de sortir enquêter sur la dernière des théories qui pouvait correspondre à ma liste. Je parcourais cette ville depuis déjà un long moment, une semaine et demie, alors tous les liens étaient ouverts en permanence sur ma page internet. Je jonglais d’un forum à un autre, en essayant de reconnaitre si les personnes qui discutaient d’un phénomène étaient bien des groupes différents.
Chaque jour, j’épluchais les nouveaux topics pour ne rien rater. Je notais dans un carnet toutes les idées connectées pour m’assurer de ne rien laisser au hasard. Une fois cela terminé, alors je commençais à rattraper ce qui avait été écrit avant mon arrivée sur Terre. Chaque jour, petit à petit, je remontais de plus en plus loin. Aujourd’hui, je m’attaquais aux messages du mois de mars.
Plus je reculais dans le temps, moins j’avais de probabilités de trouver quelque chose : la plupart des gens parlaient d’évènements déjà passés.
Après avoir noté mes pistes pour demain, j’ai reposé mon ordinateur sur la table de nuit, sans même le fermer. Le rythme soutenu et la pression de ma potentielle mort rendaient cette mission extrêmement complexe. Pas une seconde j’avais pris le temps de penser à ce que j’avais laissé derrière moi. Si j’avais commencé à m’égarer en m’imaginant ce que ma famille ou mes amis devenaient, je n’aurais plus été capable de me relever.
Non, au lieu de ça je devais aller de l’avant, donc je travaillais jusqu’à l’épuisement pour ne pas laisser une seconde à mon esprit pour divaguer. Mais combien de temps pourrais-je maintenir ce rythme ?
Je chassais immédiatement cette pensée qui, comme toutes les autres questions que je me posais dans ces moments-là, me tirait vers le bas. J’avais bien envie d’une pause, juste une toute petite après tout le travail acharné que j’avais fourni. J’avais déjà l’impression d’avoir remué ciel et terre sans pour autant réussir à résoudre l’énigme qu’on m’avait confiée. Mais si je m’arrêtais maintenant, qui sait quand je trouverai la force de recommencer mes recherches. Chaque seconde comptait. Je ne pouvais me permettre d’en laisser filer pendant que je ressassais des « Et si » qui ne menaient à rien.
En jetant un coup d’œil à l’horloge, je me suis redressé pour reprendre à contrecœur mon ordinateur. Je devais continuer coûte que coûte.
Comme chaque jour, j’allais continuer mes recherches jusqu’à 19 h 30, après quoi je sortirais manger. Là-bas, je regarderais le journal de 20 h, sait-on jamais si une des informations pouvait m’aider. Après je creuserais chacune des pistes que j’avais trouvées aujourd’hui et je préparerais mon enquête de terrain de demain.
Alors que mon esprit rêvait d’ailleurs, je continuais à remonter les sections toujours de plus en plus anciennes de l’un de ses forums favoris.
« Un séisme plus puissant que jamais va nous frapper d’ici peu, mes preuves sont ici » 5 mars 2012 23 h 52
« Mouais, pourquoi pas »
J’ai cliqué sur l’article. Comme toujours, je ne savais absolument pas comment vérifier ce genre de choses. Ce qui était certain, c’était que les relevés montrés étaient bien trop parfaits. Jamais un point en dessous de la courbe : C’était trop beau pour ne pas avoir été bidouillé.
Au suivant !
« Est-ce que je suis la seule à avoir repéré un astéroïde qui nous arrive dessus ? » 5 mars 2012 23 h 36
Tien, étonnant ! Quelqu’un qui n’affirmait pas avec certitude que la fin du monde était sur le point de se produire, quel changement ! J’ai cliqué sur le sujet pour regarder ce que d’autres membres avaient à en dire.
Pour la première fois depuis que j’avais commencé mes recherches fastidieuses, j’entrevoyais une possibilité d’un véritable cataclysme. Galaxia était d’ailleurs loin d’être la seule à le penser puisque pour une fois, ça n’est pas une ou deux personnes qui s’accordaient avec elle, mais une bonne dizaine. Chacune montrait des images plus vraisemblables les unes que les autres, certaines mêmes vues d’un autre continent.
Plein d’une nouvelle énergie, je me suis retrouvé à courir dehors pour me procurer du matériel pour observer les étoiles avant que les boutiques ne ferment. Si je récupérais mon télescope à temps, alors je pourrais tenter d’apercevoir moi-même le phénomène dès ce soir.
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J’avais étalé devant moi toutes les preuves dont je pouvais avoir besoin : après plusieurs heures de recherches, j’avais imprimé en grand les photos que de puissants télescopes avaient prises de cette météorite. Certaines dataient d’un an et d’autres de quelques mois à peine. Il n’y avait aucun doute possible, le point lumineux se rapprochait inexorablement.
Quelle que soit la partie du monde où les images avaient été capturées, c’est bien la même chose qui en ressortait.
Ce qui me sidérait, c’est que personne n’en parlait en dehors de ce forum. Aucune des chaines d’informations n’avait évoqué le problème, aucun journal. Comme s’il avait échappé aux yeux de ceux capables de prendre les décisions pour sauver la planète.
Cette réflexion m’obsédait jusque sous la douche. J’essayais pourtant de toujours de me garder ce moment privilégié pour ne pas me rappeler la merde noire dans laquelle je m’étais fourré. C’était mon seul instant de détente. Les quelques minutes où j’autorisais mon esprit à dériver vers ma vie normale et ce qu’il en subsisterait si je rentrais. Lorsque ma douche était finie, c’était comme si ces pensées s’écoulaient avec l’eau. Si bien que dès que je m’enroulais dans une serviette il n’en restait déjà plus rien.
Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je ne pouvais pas m’arrêter de me demander comment, pourquoi. Est-ce que la fracture de la bulle avait rendu les humains incapables de prévenir ce cataclysme ? J’aurais altéré le cours de la réalité en faisant réapparaitre l’astéroïde dans le ciel ? Hm. Ça aussi ça serait une question sans réponse. Je ne savais même pas comment les bulles de destin modifiaient l’avenir des peuples qu’elles protégeaient.
Je me frottais le visage en me disant que c’était impossible, que quelqu’un l’avait certainement remarqué. Peut-être bien que l’information était gardée secrète pour ne pas effrayer la population ? Mais si tel était le cas, je devais tout de même m’assurer que quelque chose soit mis en œuvre pour anéantir le caillou qui se dirigeait droit sur eux.
Décidé à découvrir si elle en savait plus, j’ai envoyé un message à Galaxia. Mais comment prendre contact avec elle sans trop lui en révéler ? Allait-elle seulement me faire assez confiance pour me dévoiler ce genre d’informations ?
Pire que tout : Était-il déjà trop tard ?
Dans la chaleur de la nuit d’été, j’ai passé plusieurs heures à observer les étoiles via mon télescope, focalisé sur ce point lumineux à me demander ce que j’allais bien pouvoir faire à son sujet.
Cette nouvelle vous a plus ? Génial, on se retrouve la semaine prochaine pour la suite !
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