Catastrophe 4702
~ Partie 2 ~
« En cas de danger imminent, merci de contacter Prophecy&Co au numéro suivant »
Le numéro à 15 chiffres et 5 de plus pour l’indicateur n’avait rien à voir avec ceux qu’il avait déjà pu croiser.
Mais si c’était son dernier espoir, qu’est-ce qu’il avait à perdre ?
Sans vraiment savoir à quoi s’attendre, Garett composa le numéro de téléphone. En à peine quelques secondes, il entendait déjà le message suivant :
« Bienvenue chez Prophecy&Co. Tous nos agents sont actuellement occupés, nous sommes navrés de ne pas pouvoir vous répondre. Pour évaluer la priorité de votre appel, merci de taper 1 si votre monde va se détruire dans les prochaines 24 h. »
« Quoi ? » pensa-t-il. « Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? »
« Tapez 2 si vous disposez encore de 48 h avant l’anéantissement de votre planète » poursuivit la voix composée du répondeur.
« Mais c’est quoi ce bordel ? » finit par lâcher Garett.
« Tapez 3 si vous disposez de 72 h. Dans le cas où votre monde bénéficierait de plus de temps, merci de rappeler ultérieurement. » conclut-elle avant qu’un bip ne termine l’appelle.
L’homme regarda son téléphone, hébété, pendant quelques minutes. Comment est-ce que le gouvernement pouvait le renvoyer vers ce genre de canular ? Un hacker avait dû laisser une farce, ça n’était pas possible autrement.
Il n’allait pas renoncer pour autant et tapa à nouveau le numéro inscrit sur la page internet en relisant attentivement chaque combinaison pour s’assurer de ne pas se tromper. Peut-être que cette fois-ci quelqu’un allait décrocher ?
Le message résonna encore une fois dans son oreille.
Si même ça ne marchait pas, il n’avait aucune idée de quoi faire.
Il le composa pour la troisième fois. Avant même que la voix n’ait eu le temps de commencer son laïus, il appuya sur 1. Au moins, il pourrait avoir quelqu’un au téléphone.
« Veuillez patienter. »
Ah. Il était enfin sur une bonne piste !
Il attendit patiemment que quelqu’un décroche alors que le répondeur jouait une musique.
« L’information que vous nous avez fournie est erronée. Merci de rappeler ultérieurement. » finit par lui dire la voix.
Quoi ?
Garett aurait pu jeter son téléphone de fureur. Comment pouvaient-ils le savoir, d’abord ? Ils ignoraient pourquoi il les contactait.
Il essaya quand même de taper 2 puis 3. Mais toujours avec le même résultat.
Personne ne pouvait l’aider ? Très bien, il allait devoir réussir tout seul alors. Mais il lui fallait un plan assez rapidement. Il devait agir avant que ces nouvelles foreuses ne se retrouvent partout sur Terre.
********
« On a un 1 chez les humains ! » cria une voix au travers de tout le bureau.
Personne ne réagit. De toutes les espèces sur lesquelles ils veillaient, les humains s’avéraient la plus impatiente. Et des « 1 » ils en avaient au moins trois par jours. La plupart du temps pour pas grand-chose.
« Qui s’en occupe ? » reprit la voix, agacée.
Aucun des employés ne voulait se charger ce dossier Humain. Car se saisir d’une affaire non importante c’était rater l’opportunité de travailler sur une catastrophe énorme grâce à laquelle ils allaient pouvoir montrer tout leur potentiel.
« Esteban, c’est pour toi. » finit par décréter le pzorg.
Depuis l’autre côté de la pièce, il étira son bras pour déposer de ses longs doigts bleus les papiers sur la pile déjà haute du jeune humain.
« Mais j’en ai encore beaucoup en retard. Imagine si c’est une vraie urgence ! » tenta-t-il de se défendre.
L’équipe explosa de rire.
À contrecœur, il finit par accepter le dossier. La qualité de travail des humains s’était grandement dégradée depuis que la Terre pouvait contacter le standard de Prophecy&Co pour les urgences. Jusqu’ici, en 5 mois de stage, il n’avait pas vu passer un seul réel danger. En revanche, les autres planètes géraient beaucoup mieux cette notion, car un appel sur trois menait à une prise d’action. À tel point que leurs tableaux de performances séparaient la Terre de toutes les autres. Sinon les chiffres baissaient trop.
Et malheureusement, les humains qui travaillaient dans ce service faisaient souvent les frais de l’absurdité de leurs ancêtres.
« Oh, je te le laisse, c’est un dossier en rapport avec la Terre. Il vaut mieux qu’un humain le gère pour bien tout comprendre », « Dis, j’ai vu que tu n’avais rien à faire, tu peux t’occuper de mon dossier Humain ? », « Esteban, tu es humain, non ? Je te donne ce dossier dans ce cas ».
Les autres stagiaires de l’équipe analysaient de vrais incidents reportés et si ça tombait au début de leur stage alors ils avaient parfois l’opportunité de suivre tout le processus de A à Z. Parfois même, ils allaient sur le terrain avec un agent expérimenté pour savoir comment le problème s’était résolu.
Et secrètement, Esteban espérait aussi pouvoir découvrir une véritable affaire de bout en bout. Pour l’instant, il n’avait pas vraiment eu de chance. Mais il lui restait encore assez de temps ici pour que ça se réalise peut-être. Avoir une expérience comme celle-là lui promettait un poste chez DestinyCorp à la fin de ses études. Et ça, ça n’était pas négligeable.
Donc même si c’était parfois injuste qu’il se tape tous les dossiers de la Terre, il continuait à les décortiquer avec minutie pour s’assurer de ne pas louper le détail qui pourrait lui servir de tremplin pour sa carrière – et accessoirement sauver l’humanité, certes –.
Son objectif, c’était d’étudier le plus d’appels chaque jour pour rester disponible au cas où une belle opportunité se présenterait. Après 4 mois, il commençait à douter. Mais il se tenait prêt : s’il tombait sur le cas qui menait à une catastrophe alors tout ce travail serait récompensé.
Pour ça, il arrivait une heure avant tout le monde, mangeait devant ses recherches et partait bien après les autres le soir. À ses yeux, son temps n’était qu’un petit sacrifice en comparaison de ce qu’il pourrait y gagner. Et puis ça n’était pas non plus comme s’il comptait vivre toute sa vie comme ça.
Chez Prophecy&Co, chaque heure qu’ils passaient à résoudre un dossier était une seconde où l’humain patientait au téléphone. En cas de réel problème, il n’était pas concevable qu’il ait raccroché avant que quelqu’un ait pu lui répondre.
Mais étant donné le nombre de demandes, ils n’avaient pas eu d’autres choix que de procéder comme ça. Avant, un opérateur prenait chaque appel. On pouvait d’ailleurs toujours voir dans leur bureau, fièrement affiché, la performance de leur meilleure année : moins d’une seconde d’attente. Cette époque laissait encore les employés rêveurs.
Depuis que le numéro avait été rendu public – bien que camouflé au milieu d’informations peu utiles –, le téléphone ne cessait de sonner. Tout le service s’était réorganisé et ils avaient dû créer un petit paradoxe temporel pour que les interlocuteurs ne restent pas des heures à patienter.
Le système fonctionnait simplement : le standard enregistrait les renseignements de bases telles que le lieu et l’époque et les chiffres tapés. 1 pour « très urgent », 2 pour « moyennement urgent » et 3 pour « ça peut attendre un peu ». Ensuite, selon la priorité de la requête, les dossiers étaient répartis pour que les « 1 » soient traités au plus vite, etc.
Mais pour la Terre, il y avait tellement de « 1 » que tous les dossiers étaient classés au même niveau : « moyennement urgents ».
Puis, chaque analyste a des objectifs en fonction du temps qu’il a mis pour rechercher un cas. Par exemple, un dossier « 1 » devait être traité en 4 h maximum.
Et s’il s’avérait qu’il y avait réellement un danger, alors un opérateur répondait à l’appel pour prendre toutes les informations et envoyer quelqu’un régler le problème.
Sinon, un message indiquant que le risque n’était pas imminent expliquait à l’interlocuteur de les recontacter plus tard si ça devenait nécessaire.
« C’est pourtant si simple. Pourquoi les humains ne s’en sortent pas ? » se demandait souvent Esteban.
L’heure tournait et il allait devoir se résoudre à rentrer chez lui avant d’avoir terminé sa pile. Il jeta un regard pensif vers l’horloge. 19 h 45.
Finalement, peut-être qu’il pouvait rester encore un tout petit peu ? Et puis si c’était un dossier aussi peu intéressant que les autres alors il le traiterait en quelques minutes. Ou il finirait demain matin.
Ne résistant pas à la curiosité, il ouvrit la première page pour lire le titre : « Août 2018, Terre. Cushing, Oklahoma. »
Esteban soupira. Que pouvait-il bien se passer d’important dans le fin fond des États-Unis ? Encore un dossier inintéressant.
Il prit la check-list qu’ils complétaient pour chaque cas et commença son travail de recherches pour être débarrassé de cette énième fausse alerte.
D’abord, c’était quoi cette ville ?
« Le centre de raffinage du continent américain. »
Pas mal, Esteban y voyait un potentiel de catastrophes un peu plus accru que la moyenne.
Il parcourut les archives et les sites web de 2018 pour tenter de comprendre ce qu’il pouvait bien s’y passer, mais il n’y découvrit rien.
Mais alors, qui était le donneur d’alerte ?
« Un employé de la raffinerie ? Ça se tiendrait. »
Les probabilités de catastrophes commençaient à se cumuler. Et dans ce cas, ça valait le coup de creuser un peu plus en utilisant les données des agents de DestinyCorp.
Dans ces archives, il pouvait trouver n’importe quelle information relative à la zone de sa recherche.
« Voyons voir ce qu’on trouve en 2018. »
Cette étape de recherches se révélait souvent bien plus fastidieuse, parce que les dossiers comptaient un nombre d’informations astronomique. Et réussir à les trier déceler un indice menant à une catastrophe relevait parfois du savoir-faire des experts.
Mais c’est sa connaissance de la Terre qui lui permit de dénicher le petit détail qui tendait à valider l’appel de ce fameux Garett. Peu d’autres planètes extrayaient des matières fossiles en grandes quantités. Et il aurait été facile de passer à côté de l’activité sismique élevée de la zone. Apparemment, un agent commençait à enquêter sur le sujet.
Esteban relut ces lignes plusieurs fois. L’agent avait alerté quelques heures auparavant sur le phénomène qui devenait trop récurent pour qu’il soit naturel et il demandait l’autorisation d’aller sur place pour investiguer.
Peut-être bien que c’était sa chance ?
Il tenta de contenir son excitation. Il allait devoir la jouer fine pour être mis sur le dossier aux côtés de l’agent de terrain.
Et pour l’heure, il devait conclure par une réponse négative auprès de Garett : la Terre n’allait pas être détruite dans moins de 24 h. Il leur restait encore quelques mois, ou peut-être bien une année à en juger par les précédents incidents similaires que l’entreprise avait évité.
Plongé dans ses probabilités, Esteban resta une bonne partie de la nuit les yeux rivés sur son écran. Après tous ces dossiers insignifiants, celui-ci pourrait bien le sauver.
Fébrile, il nota le numéro de l’agent en question pour tenter de le contacter en dehors des voies traditionnelles. Personne ne lui prendrait cette affaire.
Comme toutes les alertes valides, il était toutefois obligé de la rentrer dans le système. Il allait seulement oublier d’ajouter quelques informations stratégiques le temps, pendant quelques jours, d’en découvrir un peu plus.
Il regarda fièrement le titre du dossier de son tout premier cataclysme avéré :
Catastrophe 4702 : Fracture du manteau terrestre
Cette nouvelle vous a plus ? Génial, on se retrouve la semaine prochaine pour une nouvelle aventure !
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