Catastrophe 4702
~ Partie 1 ~
Plongé dans un sommeil profond, une sensation indescriptible le ramena à la réalité. Devant ses yeux, tout bougeait. Un peu comme si sa tête tournait. Il aurait pu être tenté de se rendormir en pensant que ça n’était qu’un effet secondaire de la fatigue. Mais il savait trop bien que ça n’était pas qu’une impression. Il attrapa son téléphone avant de descendre les escaliers quatre à quatre, trop habitué à l’exercice. Une fois en sécurité sur la pelouse devant sa maison, il inscrit une nouvelle entrée dans une note : 4 août 2018 – 2 h 56.
Comme chaque épisode, il allait compter le temps que duraient les secousses et surtout leur puissance. Les fois précédentes, on leur avait assuré que le séisme ne s’élevait pas à plus de 2 sur l’échelle de Richter. Pour autant, Garett en était certain, les tremblements qu’ils subissaient n’avaient rien à voir avec un 2.
Ce qu’ils expérimentaient à la station de forage allait devoir s’arrêter coûte que coûte.
Ce séisme, quoiqu’impressionnant, n’avait pas l’air d’avoir causé de dommages dans sa rue. Cela faisait déjà plusieurs années qu’ils se faisaient de plus en plus fréquents. Vivre à Cushing Oklahoma, c’était vivre avec, chacun le savait.
Mais il ne se satisfaisait pas de cette affirmation.
Alors qu’il regardait les poubelles à terre et que ses voisins regagnaient leurs foyers encore chamboulés, lui se demandait quelle route avait été dévastée. Est-ce qu’il pourrait aller au travail demain ?
Il était las de la fréquence à laquelle les chaussées se fracturaient ou étaient recouvertes de boue après les glissements de terrain.
En se dirigeant à l’intérieur, il se remémora le porche qu’il avait eu autrefois. Mais en seulement deux ans, il avait dû le retaper au moins à trois reprises. Il aimait ce porche, mais pas suffisamment pour consacrer tout son temps à le réparer à cause des tremblements de terre incessants.
Chacun des habitants avait déjà dû rebâtir sa maison entièrement une fois au minimum au cours des cinq dernières années. Tous étaient fatigués de vivre dans la peur qu’une poutre ne s’écroule sur eux en pleine nuit, ou bien de devoir encore repartir de zéro.
Et il ne préférait pas penser à son jardin, bosselé à cause de l’activité sismique.
Garett avait les yeux grands ouverts alors qu’il s’était couché depuis déjà quelque temps. Mais quelque chose lui trottait dans la tête. Et il devait vérifier ça par lui-même.
Ça allait certainement lui attirer des problèmes. Mais qu’à cela ne tienne.
Il se glissa rapidement dans ses vêtements et dans le noir d’encre de la nuit, il prit sa voiture en espérant ne pas subir une réplique sur le chemin.
À peine sortie de la ville que l’imposante raffinerie qui avait fait la fortune de la région depuis près d’un siècle se dressait déjà devant lui. Tout le pétrole puisé dans le sud du pays transite ici par des pipelines pour y être épuré. En Oklahoma, c’était la base de tous les emplois ou presque. Et à Cushing, n’en parlons pas !
Tout le monde à Cushing connaissait quelqu’un qui travaillait là-bas. Et depuis quelques années, les puits commençaient à se tarir. Bientôt, ils devraient peut-être inverser le sens du pipeline pour continuer à exister. Du jamais vu.
Les tremblements de terre, c’était l’inquiétude quotidienne des habitants. Mais, le bruit d’une potentielle fermeture ou même d’une réduction des effectifs à la raffinerie, c’était le sujet de discussion le plus courant au bar du coin. Certains n’avaient jamais rien connu d’autre.
C’est bien pour ça que tout le monde acceptait les secousses et leurs conséquences avec pragmatisme. Certes, il y avait sans cesse des constructions à remettre sur pieds. Mais au moins, chacun conservait son emploi.
Sans ce monstre de ferraille, alors la ville au milieu de nulle part n’aurait plus aucune raison d’être.
Il glissa son badge contre le portique puis se dirigea habilement à l’intérieur de l’enceinte de l’usine.
Son pass ne lui ouvrait que l’entrée de la raffinerie, il n’avait pas accès aux nouveaux bâtiments. Son titre d’ingénieur ne lui permettait pas encore de pénétrer dans cette zone bien gardée. Et même s’il le pouvait, il n’avait rien à y faire. Et encore moins en pleine nuit. Garett préférait autant ne pas laisser de traces de son passage.
Qu’est-ce qu’il venait chercher ? Il l’ignorait. Pourtant, il avait l’impression qu’une partie de ses réponses se trouveraient là.
En restant un peu dans l’ombre d’un lampadaire, il observait les allées et venues. Étrangement, ça fourmillait d’ouvriers et d’ingénieurs qui s’affairaient dans tous sens. Garett avait déjà travaillé à la raffinerie de nuit, et jamais il n’y avait autant de tumulte.
Son intuition était peut-être la bonne.
Mais comment passer ? Si seulement il arrivait à se mêler à un groupe qui entrait, ou bien à attraper la porte au vol. Mais surtout, il devait faire en sorte que les nombreuses caméras qui surveillaient la zone ne puissent pas filmer son visage ou son badge.
Il enfonça sa casquette sur la tête, et alors qu’une équipe sortait de l’enceinte hautement sécurisée, Garett se glissa discrètement dans l’entrebâillement du portail.
Aucun des hommes ne semblait l’avoir aperçu. Bien.
En évitant chaque personne qu’il aurait pu croiser, il grimpa les étages jusqu’aux bureaux. Ils surplombaient le forage et permettaient d’observer l’horizon, on pouvait même voir les lumières de la ville. De l’autre, il n’y avait que des conteneurs enterrés à perte de vue. A ces pieds, des centaines d’ouvriers s’affairaient à faire fonctionner le monstre de fer sans qu’il ne s’arrête jamais.
Il se mit à fouiller chaque pile de papier, chaque dossier. Avec précaution, il replaçait toujours un tas de feuilles là où ils étaient posés pour que personne ne remarque son passage.
Il retourna presque la pièce entière avant de trouver un carnet où toutes les informations qu’il cherchait étaient soigneusement reportées. C’était un coup de chance, car sans ça, il avait beau avoir réussi à s’introduire ici, il ne parviendrait jamais à se connecter à l’un des ordinateurs sans connaitre le mot de passe.
En quelques photos, il avait tout ce dont il avait besoin pour étudier les résultats chez lui. Alors qu’il s’éloignait dans le couloir, il entendit des éclats de voix entrer dans le bureau. Il s’en était fallu de peu.
*******
— « Non mais vous vous rendez compte de ce que vous faites ? » s’exclama-t-il
L’homme face à lui continua à le regarder avec indifférence.
— « Qu’est-ce que vous attendez de moi, au juste, Garett ? »
— « Agissez ! Arrêtez le forage et prenez vos responsabilités. »
— « Je crois que vous ne comprenez pas l’importance de cette foreuse. »
— « Bien sûr que si, je le comprends ! »
— « Ça suffit ! J’ai écouté vos arguments, à vous d’entendre les miens. »
L’homme, vêtu d’un costume, se leva et s’appuya sur son bureau pour surplomber l’ingénieur assis face à lui.
— « Cette foreuse, c’est notre seul espoir. C’est l’unique chance que nous avons de continuer à faire subsister Cushing. Et si elle s’arrête, certains vont devoir quitter le domicile qu’ils habitent depuis des générations, ils vont perdre tout ce qu’ils possèdent. Sans compter l’histoire de cette ville ! Tout le patrimoine va disparaitre peu à peu. »
— « Mais à quoi bon ? Avec les séismes à répétitions, Cushing va finir par être détruite. C’est ce que j’essaye de vous expliquer. »
— « Alors ça, c’est votre interprétation des chiffres. J’ai d’autres ingénieurs qui me garantissent que tout ira bien. Qui pensez-vous que je vais croire ? Eux, qui travaillent sur le projet depuis qu’il n’était encore qu’une idée folle couchée sur un plan, ou bien vous ? Vous, qui vous êtes introduit sans permission sur un site sécurisé dans le but de faire fermer l’exploitation. Vous savez ce que je crois, aussi ? Que vous avez été vexé de ne pas être choisi pour travailler sur ce projet ! »
— « Mais non, absolument pas ! »
— « Et que vous vous vengez en inventant n’importe quelle excuse pour le faire échouer. Mais vous n’y arriverez pas. Nos recherches sont bien trop avancées et novatrices pour que votre intervention n’ait une quelconque utilité. Et puis les résultats que l’on a… cela faisait une décennie que le pétrole n’avait pas coulé à flot comme aujourd’hui ! »
— « Je me fiche parfaitement de ne pas avoir travaillé sur ce projet. Et c’est parce que je vous aurais arrêté que vous ne m’avez pas choisi ! » Explosa Garett, hors de lui. « Mais ce que vous faites détruit durablement la croute terrestre. Les fractures ne se réparent pas, ou si c’est le cas, pas assez vite par rapport au nombre que vous lui infligez. On le voit, d’ailleurs ! Jamais il n’y a eu autant de séismes puissants. En une année, on a dû reconstruire trois fois la route principale ! Est-ce que vous croyez vraiment que les gens d’ici sont prêts à payer ce prix-là pour rester ? »
— « Est-ce qu’il y a eu beaucoup de départs ? Non. »
Le dirigeant du site se rassit dans son fauteuil.
— « Néanmoins, je me dois d’appliquer certaines sanctions à effet immédiat. Rien ne me prouve que vous n’allez pas retenter votre exploit pour saboter ma magnifique foreuse. »
— « S’il vous plaît, arrêtez cette folie ! Elle creuse trop profond, elle menace l’équilibre de notre plaque sismique. On a aucune idée des conséquences à long terme. Et encore, c’est tout ce qu’on voit, mais il pourrait y avoir d’autres répercussions. »
— « Donnez-moi votre badge. Nous ferons déposer les affaires de votre bureau à votre domicile, nous préférons que vous ne vous attardiez pas trop ici. »
Alors qu’il le retirait de son cou, Garett le regarda une dernière fois. Il était arrivé ici il y a près de 8 ans déjà. Il n’a pas grandi dans le coin, contrairement à tous les autres habitants de la ville. Mais même si ça avait pris du temps, il était devenu l’un des leurs. Et aujourd’hui, il sacrifiait son badge et son avenir ici sans regret. Son combat ne s’arrêtait pas là, c’était certain.
— « Et ne vous avisez pas d’ébruiter vos “trouvailles”. » continua l’autre homme. « Je vous rappelle que votre contrat vous interdit strictement de parler de votre travail ici avec qui que ce soit. »
— « Je ne crois pas que si la sureté du territoire est menacée ce genre de clause s’applique. »
— « Est-ce que vous êtes certain d’avoir les avocats nécessaires pour défendre cet argument ? »
Pour la première fois, Garett n’avait plus rien à répondre. Jamais il ne pourrait se permettre de défier ce géant du pétrole.
— « Bien. C’est ce que je pensais. Maintenant, vous pouvez y aller. J’ai un autre rendez-vous. » conclut le dirigeant en lui montrant la porte.
Abasourdi par la tournure qu’avait prise cet entretien, Garett resta plusieurs heures assis dans sa voiture sur le parking du site. Comment allait-il pouvoir prévenir les habitants avec cette clause ? Pire que tout, il était certain d’avoir vu une carte avec plusieurs points rouges dans le bureau.
Voulait-il implanter ces nouvelles foreuses ailleurs ? Ils étaient répartis sur tout le planisphère.
Étant donné le résultat d’une seule de ces machines ici, il n’osait pas imaginer les dommages que cela pourrait engendrer si les fractures se répandaient sur toute la surface de la Terre.
Une fois chez lui, Garett était tout aussi désœuvré mais sa détermination n’en était pas moins vivace : il devait trouver une solution, il était le seul à pouvoir agir.
La semaine qui suivit, il passa des heures à parcourir les sites gouvernementaux, à tenter de repérer un vice dans son contrat, à contacter des avocats spécialisés. Rien, il n’avait rien trouvé.
À part ce tout petit encart sur la page de la défense, qu’il avait découvert après avoir fouillé le site en entier :
« En cas de danger imminent, merci de contacter Prophecy&Co au numéro suivant »
Le numéro à 15 chiffres et 5 de plus pour l’indicateur n’avait rien à voir avec ceux qu’il avait déjà pu croiser.
Mais si c’était son dernier espoir, qu’est-ce qu’il avait à perdre ?
Cette nouvelle vous a plus ? Génial, on se retrouve la semaine prochaine pour une nouvelle aventure !
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