Un homme à côté de moi murmura à sa collègue :
— « En tout cas, on ne peut pas dire que c’est un succès. Ces quelques kilomètres de différence l’ont peut-être rendu d’autant plus dangereux. »
— « Je suis entièrement d’accord. Nous aurions dû abandonner la mission et nous concentrer sur la deuxième sonde. Voilà ce qui arrive quand ce ne sont pas des experts qui prennent les décisions. » acquiesça-t-elle d’un air pincé.
C’est en pleine campagne, loin de toute pollution lumineuse que nous avions prévu de profiter de quelques jours loin de tout. Nous étions allongés dans l’herbe, les yeux rivés vers le ciel, comme des millions d’êtres humains au même moment.
Les informations avaient annoncé une pluie d’étoile filante. Sans en dire plus, ils avaient permis à chacun de se plonger dans la beauté d’un évènement aussi fugace que magique pour ce qui serait peut-être les derniers instants de leurs vies.
Au fond, nous étions les seuls à vraiment tout savoir, personne d’autre n’avait conscience du danger qui nous guettait.
Récemment, l’atmosphère au labo était devenue trop pesante. Nous vivions tous dans l’anticipation des évènements de cette nuit. Nous étions ceux capables de tout connaître à ce sujet et pourtant, nous ne maîtrisions rien de ce qu’il allait se passer.
Le travail n’avançait plus, alors tout le monde a eu le droit de prendre des vacances offertes. Certains préféraient encore se plonger dans leurs recherches pour oublier, ils étaient autorisés à venir au labo dès qu’ils se souhaitent. Moi, j’avais choisi de m’évader.
J’avais d’abord pensé à partir avec mes parents. Mais je n’aurais pas supporté de devoir leur cacher quelque chose de si important.
Ici, je n’étais pas seule et je n’avais pas besoin de discuter comme si cette nuit était une nuit parmi tant d’autres. Tous les deux, nous savions à quoi nous attendre.
La sensation de ma main dans la sienne me réchauffait le cœur, m’intimait de garder espoir, que cette nuit ne serait pas la dernière.
Guss travaillait lui aussi dans les bureaux de l’ESA. L’atmosphère morne là-bas nous avait permis de nous rapprocher, nous qui ne voulions pas pour autant sombrer dans l’accablement général. Au fil des pauses déjeunées partagées, nous avons appris à nous connaître. Et même si demain nous découvrions que c’était plus la gravité de ce qui nous entourait qui nous unissait que des sentiments profonds, j’étais heureuse de ne pas être seule dans un moment comme celui-ci. Mieux que ça, j’étais soulagée de profiter d’une si bonne compagnie.
— « Regardes » murmura-t-il en pointant le ciel.
Il n’était plus l’heure de réfléchir à mes accomplissements et mes échecs. Tous, nous avions travaillé dur pour protéger la planète et chaque habitant qui y vivait.
Alors que les premières étoiles filantes entraient dans l’atmosphère, je sentis mes joues humides. Tous, nous n’espérions qu’une chose : c’est que la deuxième sonde, lorsqu’elle avait dévié les deux gros débris dangereux, ait réussi. Aucune simulation ne pouvait le prédire à 100 %. Le destin de l’humanité se jouait maintenant.
Du haut de notre colline, tout l’horizon s’offrait à nous. Des étoiles filantes, il y en avait partout. Le spectacle me coupait le souffle. J’en oubliais presque les enjeux.
Le ciel s’éclaira d’un coup, comme si le soleil s’était levé brusquement. Alors que la météorite continuait sa descente, une puissante déflagration se fit entendre au moment où elle disparut. Les plus gros fragments étaient en train de traverser l’atmosphère.
***********
Le jour fatidique était arrivé. C’était à peu près la date que j’avais calculée, mais surtout, les informations avaient annoncé une pluie d’étoiles filantes particulièrement longue et intense. Évidemment, ils n’avaient rien précisé de plus, mais ça me suffisait à savoir quand mettre mon plan en action.
Moi, je m’étais préparé depuis plusieurs jours déjà, j’avais récupéré tout ce dont j’avais besoin pour frapper la météorite alors qu’elle entrerait dans l’atmosphère, pour qu’elle ne soit plus un danger.
Je m’étais positionné à l’endroit même où j’étais tombé, guettant l’apparition des étoiles filantes. Après tout, connaissant Destiny&Co, ils devaient savoir avec précision le lieu de l’impact lorsqu’ils ont fabriqué la bulle de destinée.
Alors que les premières trainées illuminaient le ciel, j’ai pris quelques instants pour apprécier ce spectacle grandiose. De premiers petits morceaux de l’astéroïde avaient dû se détacher au moment d’entrer dans l’atmosphère.
La deuxième salve me ramena à la réalité : je devais agir vite ! Ma main sur mon briquet, je me tenais prêt. J’ai enflammé la mèche que j’avais méticuleusement préparée. Et alors que je voyais ma mini-fusée — d’un mètre tout de même ! — s’envoler vers les cieux, je sentais la fierté m’envahir. Je venais de sauver la Terre, j’en étais sûr.
Ma torpille disparaissait dans la nuit noire alors qu’une nouvelle salve d’éclats embrasés nous plongeait dans une magie sans pareil. Il y en avait bien plus que la fois d’avant. Et ça, c’était la preuve que tout ça avait fonctionné, n’est-ce pas ?
Je n’avais aucun doute quant à ma réussite. C’est sans surprise que je me suis retrouvé ailleurs, alors que le ciel s’éclairait comme en plein jour : ma mission ici était terminée.
D’un coup, le hall de DestinyCorp s’étendait face à moi, avec une grande banderole de félicitations tous les employés applaudissaient. Devant moi se tenait le Directeur de l’entreprise. Je ne l’avais jamais rencontré et il ne sortait pas souvent, disait-on, c’était donc une immense fierté qu’il assiste à mon retour.
Alors que je balayais la pièce du regard, bouche bée, je ne réalisais pas que tout cela était bien pour moi. J’étais enfin rentré à la maison. Mes yeux s’humidifiaient, mais ça n’était pas le moment. Je ravalais mes larmes quand l’homme aux cheveux gris descendit les marches pour m’accueillir, un sourire béat aux lèvres :
— « Julien, votre mission s’est révélée être un franc succès ! » s’exclama-t-il en me serrant la main.
Moi, je ne savais pas comment répondre, je ne m’étais pas préparé à tant de sollicitude.
— « Vous avez réalisé des prouesses avec le temps qui vous était imparti. Et puis, arrêter un astéroïde uniquement avec des moyens terriens, ça n’est pas donné à tout le monde. »
Autour de nous, tous les employés continuaient à applaudir. Ce qui m’importait, c’était de réussir ma mission et de pouvoir rentrer chez moi, je ne m’attendais pas à être accueilli sur un tapis rouge.
— « Nous sommes ravi de vous compter parmi nos collaborateurs. Il est évident que votre période d’essai est validée sans discussion et nous effaçons le petit accroc qui vous a conduit sur Terre pour nous souvenir uniquement de votre héroïsme. Nous espérons vous garder longuement avec nous. Un employé si dévoué ça ne se trouve pas partout » m’encensa le grand Directeur avec un regard complice.
Si ce n’était pas la personne la plus haut placée de la société, j’aurais pu jurer qu’il m’avait adressé un clin d’œil !
— « Merci Monsieur » ai-je répondu, encore sous le choc.
Je nageais dans la confusion, et j’avais peine à croire que je ne rêvais pas.
Les félicitations continuèrent avec d’autres membres de comité de Direction qui venaient me congratuler un à un, mais je n’écoutais plus. L’euphorie générale rendait tout autour de moi confus. Mon retour sain et sauf et dans les bonnes grâces de DestinyCorp était tout ce à quoi j’aspirais.
Ce soir, j’allais rentrer chez moi et revoir ma famille. Ma vie allait reprendre son cours normal, presque comme si rien ne s’était passé.
On me dirigeait vers une salle de réception où un buffet m’attendait, pour fêter mon « triomphe face au Destin ». De loin, j’apercevais Yvan, l’homme poulpe qui m’avait accompagné le premier jour. Il me souriait et me faisait un signe de victoire avec chacun de ses tentacules. En fin de compte, c’est lui qui avait vu juste : cet incident serait vite oublié, ça sera une histoire dont je pourrais me vanter à la machine à café.
Cette nouvelle vous a plus ? Génial, on se retrouve la semaine prochaine pour une nouvelle aventure !
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C’était un vrai plaisir à lire, vivement la prochaine nouvelle 😘