Les Folles Aventures de Margot

      — « Allez, vas-y ! De quoi tu as peur ? » lança Léa en riant.

      Parmi tous les stands du parc, c’est celui vers lequel ses amies affichaient clairement leur préférence. Cette tente qui tenait péniblement sur ses piquets ne laissait pas entrevoir l’intérieur. À l’entrée, une pancarte disait :

      « Divination, Tasséomancie : lecture de feuilles de thé »

      — « Non, mais vous ne trouvez pas ça bizarre ? » se défendit Margot alors qu’elle se trouvait face à l’entrée.

      — « Comment ça ? Qui ne veut pas connaitre son avenir ? » renchérit Anaëlle, hilare.

      Tout ce qui avait attrait à l’occultisme la mettait mal à l’aise. Incapable de savoir si elle était plus inquiète d’avoir affaire à une escroquerie ou de réellement découvrir ce que ton destin lui réservait, elle resta interdite.

      — « Pourquoi tu n’y vas pas si c’est marrant ! » finit-elle par se défendre.

      La jeune fille n’avait plus aucun argument, c’était sa dernière stratégie pour éviter d’y aller.

      — « J’irais. » répondit son amie avec une lueur de malice dans les yeux. « Mais seulement si tu y vas d’abord ! »

      Dans un soupire, Margot jeta à nouveau un regard vers la toile de tente. Au pire, elle pouvait bien faire semblant d’avoir fait cette séance de divination après avoir attendu dedans, non ?

      — « Ro fais pas cette tête. On ne va pas t’obliger. Mais bon, pour une fois tu pourrais faire un truc marrant. » dis Anaëlle en haussant les épaules.

      — « Moi j’y vais alors ! » s’exclama Léa.

      Cela n’étonnait pas Margot le moins du monde. Dès qu’elle pouvait se mettre en avant, son amie accourait. Et une fois avoir bu sa coupe de thé elle pourrait se targuer que la voyante l’a promise à un grand destin en réinterprétant ce qu’elle lui avait dit.

      Alors que Léa s’apprêtait à écarter les tentures pour entrer, une main ridée sortit de la tente et fit sursauter les trois adolescentes.

      — « Mesdemoiselles. Il ne me reste plus que le temps pour une seule séance. Laquelle aura cette chance ? »

      Son sourire mystérieux et ses yeux perçants laissèrent Margot tremblante. Non pas qu’elle fasse peur. Mais quelque chose chez elle sortait de l’ordinaire.

      — « C’est à moi de le faire du coup, qu’est-ce que vous en pensez les filles ? » dit Léa aplomb, sans même leur adresser un regard.

      «  Pourquoi ça devrait toujours être elle ?  » songea Margot.

      — « Non, je vais y aller. » s’entendit Margot.

      Mince. Il était trop tard pour renoncer maintenant.

      Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle s’était avancée, elle qui quelques minutes plus tôt aurait tout tenté pour ne pas entrer. Mais déjà, elle passait devant Léa qui la regardait bouche bée.
      Pour une fois, elle ne voulait pas lui laisser toute l’attention.

      Dès que la tenture se referma derrière elle et que ses amies n’étaient plus en vue, l’angoisse la saisit à nouveau. Pourquoi elle n’avait pas laissé Léa faire, finalement ? Rien de tout ça ne la mettait en confiance.

      — « Installe-toi. » lui glissa la femme alors qu’elle préparait sa tasse de thé.

      Margot s’assit sur le pouf face à la table en la regardant faire. Pouvait-elle influencer le résultat avec la quantité de feuilles qu’elle venait de déposer au fond ? Ou bien avec la manière dont elle versait délicatement l’eau bouillante.

      — « Est-ce que tu as déjà suivi une séance de divination ? » lui demanda-t-elle alors qu’elle finissait de remplir d’eau chaude la tasse dont l’intérieur d’un blanc immaculé contrastait avec l’extérieur richement décoré de motifs floraux.

      — « Jamais. »

      Le sourire qui s’afficha sur son visage laissa entendre qu’elle le savait déjà.

      — « Bien, pendant que les feuilles infusent, je vais t’expliquer comment nous allons procéder. »

      Alors que la vieille femme détaillait le processus, Margot était absorbée par les volutes colorées qui se formaient dans l’eau alors qu’elle infusait. Est-ce qu’elle pourrait vraiment lui prédire son avenir ?

      — « Pendant que tu bois ton thé, n’hésite pas à penser à ta question pour que ton intention s’imprègne dans les feuilles. » poursuivit la voyante en lui tendant la tasse.

      Margot la fixa un instant. Qu’allait-elle pouvoir demander ?

      — « Tu peux poser n’importe quelle question. Même une très générale. Laisse-toi guider par ton instinct. »

      Se laisser guider par son instinct… Bien.

      «  À quoi est-ce que je peux m’attendre l’année prochaine ?  » pensa-t-elle sans pour autant exprimer à voix haute son interrogation. Son entrée au lycée allait-elle bousculer certaines de ses habitudes encore si instables ? Allait-elle vivre une aventure folle comme elle en rêvait ?
      Bien qu’elle se posait cette dernière question, elle pouvait y répondre elle-même. Bien sûr que non ! — Comment pourrait-il lui arriver quelque chose hors du commun en étant interne au lycée, c’était stupide d’y songer. –

      Margot ne buvait jamais de thé, mais c’était moins mauvais que ce qu’elle s’était imaginé. Les feuilles ne cessaient de tenter de rentrer dans sa bouche et elle finit son thé aussi rapidement qu’elle le put.
      Le regard intense que la voyante portait sur elle l’intimidait.

      — « Bien. » reprit-elle avec un sourire alors que Margot reposait sa tasse. « Maintenant qu’il reste un fond d’eau, place l’anse de la tasse face à ton cœur et fais-la tourner délicatement dans le sens des aiguilles d’une montre trois fois. »

      Alors que la jeune fille entamait timidement les rotations, l’autre femme lui mimait comment entrainer les feuilles de thé jusqu’aux rebords de la tasse. Elle l’aida à retourner sa tasse dans la coupelle assortie puis lui intima la suite : Margot devait tourner la tasse retournée dans le sens inverse, sans la soulever de la coupelle.

      — « Et maintenant, tu vas penser très fort à ta question en plaçant tes deux mains dessus. »

      Tout ce rituel prenait une tournure qui mettait Margot de plus en plus mal à l’aise. Elle ne s’était jamais prêtée à ce type de cérémonies et ça n’était pas la personne la plus courageuse au monde. Pourquoi trois fois ? Pourquoi dans un sens et pas dans l’autre ? Est-ce que tous ces mouvements exerçaient vraiment une influence sur le résultat ?
      Ça serait mentir de dire qu’elle n’avait pas retenu sa respiration au moment où la voyante saisit sa tasse pour la retourner. Bien sûr qu’il ne s’était rien passé. Mais froussarde comme elle était, elle se serait presque attendu à… eh bien n’importe quoi ! Même des lumières qui vacillent.

      Alors que la magicienne étudiait avec attention les symboles laissés par les feuilles de thé, son malaise grandissait. Elle ne savait pas quoi faire en attendant son interprétation.
      L’étonnement que Margot perçut dans la respiration de la vieille femme la fit revenir à la réalité. Quelque chose dans son regard avait changé.

      — « Jeune fille, je crois que c’est le destin qui t’a guidé dans ma tente pour cette lecture. »

      Pas superstitieuse, Margot ne put s’empêcher de penser qu’elle servait ce genre de discours à chaque client.

      — « Ta question portait sur une aventure. Sur l’année prochaine. J’en suis certaine. » Elle continua à étudier la tasse. « Rarement je n’ai lu de signes aussi limpides. »

      Comment avait-elle deviné ?

      — « Et c’est positif ? » demanda la jeune fille, hésitante.

      Même si elle ne croyait pas vraiment à tout ça, elle craignait que le ton de la prédiction ne l’influence d’une manière ou d’une autre.

      — « Oh non. Et puis il n’y a pas vraiment de mauvais présage, tu sais. Je préfère les voir comme des avertissements. Ton avenir n’appartient qu’à toi et à toi seule, tu peux le faire basculer à l’opposé de ce que je vais te révéler maintenant si tu le désire. » elle regarda encore la tasse. « Bien que ce que je lis soit très puissant, je préfère dire que rien n’est jamais gravé dans le marbre. »

      Margot hocha la tête, rassurée. Elle était enfin prête à entendre ce qu’elle avait à dire.

      — « Tout d’abord, je vois rarement autant d’éléments dans une tasse. Mais les symboles sont formels. En premier lieu, je discerne un voyage. Peut-être inattendu ? Suivi de près par l’éléphant. Cet animal représente plusieurs choses : la sagesse, la force, mais aussi un ami de confiance. Je le vois de profil, donc peut-être un nouvel ami sur qui tu pourras compter ? Ces deux choses vont arriver bientôt et de manière assez rapprochée. »

      Une aventure ? À l’internat ? Rien qu’à ces mots, Margot n’y croyait plus une seule seconde. La chose la plus folle qui pourrait lui arriver serait de trouver un moyen de se faufiler en ville. Alors de là à parler d’aventure… On en est encore très loin.

      — « Et ils sont accompagnés d’une fleur. » poursuivi la voyante sans prêter attention à la jeune fille. « Tes rêves vont se réaliser. Je ne peux pas te dire lesquels, mais je pense que c’est ta soif d’aventure qui va être comblée. Mais tu devras te méfier. Au fond, il y a un sablier. Il ne représente pas forcément le temps, moi je le vois davantage comme un choix. Il est au centre de la tasse, je sens que ça sera un choix capital. Et peut-être douloureux aussi. »

      Hm. Ça non plus ça n’avait pas de sens particulier à ses yeux : la seconde n’était pas l’année où elle aurait le plus de décisions importantes à prendre. Peut-être que la vieille femme avait parié sur le fait qu’elle était au lycée pour tenter une prédiction facile ?

      — « Tu es promise à un destin comme je n’en ai jamais vu, je ressens quelque chose de très puissant. » dit la voyante très sérieuse en prenant sa main.

      Son regard intense mettait Margot mal à l’aise : il était évident qu’elle croyait dur comme fer à ce qu’elle venait de lui décrire. Pour autant, la jeune fille n’arrivait à imaginer que quelqu’un puisse voir son avenir rien qu’avec une tasse de thé.

      — « Je sens que tu n’y crois pas. Et ça n’est pas grave. » poursuit la vieille femme. « Je vais te montrer. »

      « Quoi ? »

      Avant même que Margot n’ait pu dire un mot, elle se retrouva plongée dans un endroit complètement différent. Les rues qu’elle arpentait étaient entourées de bâtiments à colombages et de pierres. Les fenêtres, faites de vitraux, ne laissaient entrevoir aucune silhouette.
      Mais ça n’était pas ce qui lui importait. Elle se sentait envahie d’une étrange félicité. La légèreté de l’ambiance lui faisait oublier là où elle se tenait quelques secondes auparavant. Comment était-elle arrivée ici d’ailleurs ?

      « Ce moment provient de ton avenir » lui susurra la voyante. Étonnamment sa voix ne venait pas du vacarme de la rue, mais de ses propres pensées.

      Margot n’aurait jamais trouvé comment décrire cet instant étrange. Il était certain que ce moment lui appartenait, elle pouvait le sentir au fond d’elle. Mais rien de ce qui l’entourait n’avait vraiment de sens : de mémoire, elle n’avait jamais vu une rue telle que celle-ci sur les bords de la Seine.
      Évidemment, elle ne connaissait pas Paris comme sa poche, mais elle aurait pu jurer que si cet endroit existait alors elle serait déjà allée s’y se balader avec ses amies.

      Mais ça n’était pas tout. Il y avait autre chose qui clochait. Quoi ? La jeune fille n’arrivait à mettre le doigt dessus.

      En scrutant le décor autour d’elle, le détail qui lui manquait la frappa : chaque personne dans cette rue portait des vêtements historiques. Les hommes, étaient tous des costumes complets sombres et un chapeau haute-forme. Certains même marchaient avec une canne – alors qu’ils ne semblaient pas en avoir besoin –. Et les femmes portaient de grands chapeaux richement ornés de fleurs et leurs manteaux descendaient jusqu’à leurs pieds.

      Comment allait-elle se retrouver dans une reconstitution historique ? Etait-ce ça l’aventure qui l’attendait ?

      Bien qu’à l’affut du moindre indice qu’elle pouvait glaner, l’adolescente n’eut pas le temps de comprendre davantage ce que tout cela voulait dire. Une vive lumière blanche vint troubler sa vision et la seconde d’après, elle se tenait à nouveau dans cette tente, à la fête de sa ville.

      La voyante, qui serrait toujours sa main dans la sienne avait l’air particulièrement fière d’elle-même. Mais comment avait-elle fait ça ?

      Les questions se bousculaient dans la tête de Margot, et plutôt que de les poser, elle préféra courir hors de la tente pour fuir loin de cette étrange expérience.
      Tout cela ne rimait à rien. Comment cette sorcière avait-elle pu lui montrer toutes ces choses ?

      — « Alors ? » lui demanda Anaëlle, impatiente de savoir ce que l’avenir réservait à son amie.

      — « Rien. » maugréa Margot. « Je suis promise à une grande destinée apparemment. » dit-elle en levant les yeux au ciel.

      — « Elle ne t’a pas donné plus de précision ? » s’étonna Léa.

      — « Oui et non. Tu sais, tout ça, je n’y crois pas trop. » conclut-elle.

      Elle n’avait pas très envie de partager avec ses amies ce qu’elle venait de vivre. C’était à la fois tellement étrange et trop personnel.
      Non, elle préférait garder tout cela secret. Et puis si cette mystérieuse prédiction s’avérait exacte, il serait toujours temps de leur en parler le moment venu.